Suzanne Taffot – Crédit photo : Kevin Calixte

Née en Espagne, Suzanne Taffot a grandi au Cameroun et fait ses études en France avant de s’installer au Québec, où elle vit depuis 2010. Madame Taffot pratique actuellement le droit à Montréal en tant qu’avocate spécialisée en droit de l’immigration, droit de la famille et droit civil. Ayant travaillé dans un premier temps pour un cabinet d’avocats privé, elle décide de se mettre à son propre compte en société de dépenses. Mais le métier d’avocate n’est pas son unique occupation puisqu’elle pratique en parallèle le métier de chanteuse lyrique. Deux profils professionnels totalement différents.

Suzanne Taffot a commencé le chant à l’âge de 26 ans. Classée parmi les meilleures sopranos de sa génération, son arme secrète, c’est sa voix. Reconnue pour son timbre unique, riche et coloré, sa présence et son aisance sur scène ainsi que ses interprétations profondes, émouvantes et authentiques, font d’elle une artiste lyrique avec un bel avenir entre les mains.

Lauréate de plusieurs concours internationaux, trois fois lauréate des Jeunes Ambassadeurs Lyriques en 2014, 2015 et 2017, elle a été nommée Jeune espoir lyrique Québécoise en 2017 et en 2018 et a remporté une quinzaine de bourses et prix. Elle a fait ses études à l’Université de Montréal sous la tutelle de l’illustre soprano Adrienne Savoie et de l’expérimentée coach vocale Louise Andrée Baril et a décroché son diplôme avec la mention « excellent » à l’unanimité lors de son examen final de maîtrise à l’Université.

À son actif plusieurs apparitions sur scène. À l’opéra de Limoges en France dans les rôles de la Chouette et la Bergère, à Montréal dans le Rôle de Donna Anna, en Allemagne dans le rôle-titre de Mimi (La bohème) pour la 9ème fois, en Chine où elle a été soliste invitée, au gala de la prestigieuse soirée lyrique opéra Montréal-Moscou avec l’orchestre de l’ensemble Sinfonia, au gala des Jeunes Ambassadeurs Lyriques avec l’Orchestre philharmonique des musiciens de Montréal, au concert « jeunes talents » avec les Chorégies d’Orange en France, et bien d’autres apparitions encore.

En mars 2021, elle fera sa première apparition en tant que soliste à l’Opéra de Regensburg en Allemagne dans une masterclass et un concert de gala. En juin 2021, elle se produira comme soliste avec le Chœur Classique de Montréal à la Maison Symphonique de Montréal sous la direction du Maestro Louis Lavigueur dans le Stabat Mater de Dvorzak et tiendra également le rôle-titre de Mimi avec le Festival Opéra de Saint-Eustache des Grandes Laurentides en juillet 2021.

Découvrons ensemble ce parcours atypique d’une femme à la double carrière remarquable. Deux passions distinctes qui font d’elle aujourd’hui une femme pleinement épanouie, entre ses origines africaines, son émancipation au Québec et ses projets futurs.

« Le Québec c’est ma nouvelle terre, c’est mon nouveau chez moi, je m’y sens bien »

« J’ai choisi le droit beaucoup plus en raison des injustices auxquelles faisait face ma mère au Cameroun. Elle devait s’affirmer dans un monde où c’est un peu la loi du plus fort »

« C’est quand je suis arrivée à Montréal que j’ai décidé d’étudier véritablement le chant »

« Dans la vie il faut d’abord trouver son propre équilibre personnel, puis faire des choses qu’on aime, la carrière pour moi, ça vient après »

« Mon mari m’a dit la dernière fois : quand tu es sur scène tu es une autre Suzanne »

Pourquoi avoir choisi Montréal comme destination…

Les raisons qui m’ont poussé à venir à Montréal, c’était avant tout professionnel et familial. Professionnel parce qu’en France, j’étais employée dans une compagnie, j’avais un CDD et au terme de mon contrat, les perspectives d’avenir étaient plus ou moins reluisantes, et avec mon mari on a décidé de venir à Montréal. On avait commencé les démarches d’immigration quelques années auparavant. Familial parce que ça nous permettait de nous établir d’une façon permanente avec notre fils qui était alors au Cameroun. C’est vraiment pour ces deux raisons principales et c’était surtout pour vivre le rêve canadien, notre pays de prédilection. On voulait toujours en fait voir le Canada, puis voir à quoi ça ressemble, et les Canadiens eux-mêmes qui sont chaleureux. Alors on s’est dit c’est le moment ou jamais. C’est comme ça qu’on a fait le saut, le grand pas.

Au fond de vous-même, vous sentez-vous plus Espagnole, Camerounaise, Française ou Québécoise ?

Je suis comme on dit une citoyenne du monde. C’est toujours difficile de répondre à la question d’où est-ce que tu viens, dans le sens où est-ce que je suis née, où est-ce que j’ai grandi. J’ai le sentiment d’appartenance à l’Espagne parce que mes parents y ont vécu près de dix années et que j’y suis née, même si on n’est pas resté longtemps après ma naissance, je pense que je devais avoir deux ans quand on est rentré au Cameroun. Au Cameroun, j’ai aussi un sentiment d’appartenance à travers mon dialecte que je parle tant bien que mal, et aussi parce que j’y ai passé toute mon adolescence. J’ai par la suite immigré en France pour y continuer mes études de droit. Là-bas j’y ai rencontré mon mari, donc j’ai quand même un sentiment d’appartenance par alliance. Maintenant ici au Québec c’est ma nouvelle terre, c’est mon nouveau chez moi, je m’y sens bien. Donc je dirais que j’ai un peu de moi dans tous ces pays-là.

Avant que nous abordions Suzanne Taffot la Soprano, parlez-nous de Suzanne Taffot l’avocate. Pourquoi avoir choisi le droit comme vocation professionnelle ?

A vrai dire c’était pour essayer de défendre ma mère. Je dirais que c’était beaucoup plus en raison des injustices auxquelles elle faisait face au Cameroun. Je viens d’une famille monoparentale. Au Cameroun et en Afrique en général, les femmes seules ou les femmes divorcées, leurs statut dans la société n’est pas toujours le même que celle d’une femme qui a un mari, un époux qui va être protecteur. Du coup, moi j’avais ma mère qui était déjà toute seule, qui revenait de l’étranger donc, qui était perçue un peu comme une étrangère, parce qu’elle n’était pas nécessairement de là-bas. Ensuite je voyais toutes les injustices auxquelles elle faisait face, parce que justement elle était divorcée et qu’elle n’avait pas ‘’d’homme’’ pour la protéger. Elle devait s’affirmer dans un monde où c’est un peu la loi du plus fort. Je voyais bien que c’était difficile, donc là je me suis dit, je vais devoir me battre pour et contre tout ce qui est justice faite aux femmes. C’est comme ça que je me suis lancé dans le droit, mais disons aussi que je n’avais pas beaucoup le choix en termes de profils de carrière, c’était soit le droit, soit les lettres, soit les concours de la fonction publique. Il faut dire aussi qu’au Cameroun il n’y a pas beaucoup de perspectives d’emploi. C’est soit on va être fonctionnaire de l’état, donc il faut passer des concours, soit on va en sciences économiques et gestion, où moi j’étais nul en mathématiques, soit on va en littéraire/lettres ou droit. Et puis le droit me parlait plus par rapport à ces questions d’injustices, et c’est comme ça que je commence le droit.

D’où vient votre passion pour l’opéra ?

C’est drôle à dire, mais je n’ai pas aimé l’opéra au premier abord, comme ça. En toute honnêteté, je n’aimais pas l’opéra, je trouvais que c’était incompréhensible ce que les gens chantaient. Je me disais mais pourquoi les gens sont obligés de grossir leurs voix, on ne comprend rien. En fait, ce fût un cheminement. D’abord j’ai eu une passion, une curiosité pour le chant classique en général, l’harmonie des voix. Ça venait de la chorale universitaire dans laquelle j’étais. Je me rappelle avoir entendu un dimanche à la messe une chorale classique chantée pour la première fois en polyphonie, avec plusieurs voix, et je me rappelle que j’étais submergée, je trouvais ça tellement beau, l’harmonie des voix toutes ensembles, j’étais déjà émerveillée par ça. Ensuite je suis allé à la chorale et j’ai commencé à chanter et par la suite j’étais fascinée par la musique, la partition et comment les gens arrivaient à lire. Et de fil en aiguille, la curiosité intellectuelle m’a poussée à vouloir comprendre c’est la musique, le solfège, par la suite on écoutait des airs liturgiques tels que des Ave Maria, etc. Et c’est comme ça que je me plonge dans le domaine et que je découvre qu’il y a un art qui s’appelle l’Opéra.

Un art qui demande de la technique, et puis moi j’étais fasciné quand j’entendais les personnes chanter sans micro. C’est vraiment comme ça de façon basique que ça commence, je n’avais pas nécessairement de connaissances directes ou de relations directes avec l’opéra, c’était toujours à travers la chorale ou à travers des morceaux qu’on regardait via youtube. Et je me rappelle un très bon ami à moi avec qui je suis toujours en contact qui un jour, lors d’un concert de la chorale, me dit qu’on pourrait interpréter un duo ensemble entre deux parties du concert. Je lui dis oh oui pourquoi pas. C’est comme ça que je découvre pour la première fois l’opéra, on avait chanté et tout le monde avait applaudi, alors que nous même on ne comprenait rien à ce qui se chantait. C’est cette passion et cette curiosité qui a nourri en fait mon amour après pour l’opéra. Je me suis dit quand j’étais en France, j’aimerais apprendre encore plus, comment chanter, comment lire la musique, puis j’ai décidé quand je suis arrivé ici à Montréal de m’y mettre et d’étudier véritablement le chant.

C’est donc le côté Zen et spirituel qui vous a le plus attiré…

L’harmonie des voix me ramenait à un sentiment de quiétude, un sentiment d’apaisement qui faisait en sorte que c’est tellement beau, comme si ça élevait l’âme. Une dimension spirituelle que je n’avais pas connue jusque-là. Pour l’opéra, c’était l’engouement que ça suscitait chez les gens, quand on avait interprété ce duo d’opéra là, de voir que les gens étaient autant passionnés que nous sur scène, qu’ils étaient subjugués parce qu’on faisait sur scène.

Chantez-vous pour le plaisir ou est-ce beaucoup plus par objectif de carrière ?

Les deux. Je pense qu’il faut d’abord trouver son propre équilibre personnel dans la vie, puis faire des choses qu’on aime déjà, ensuite la carrière pour moi ça vient après, ce n’est pas l’inverse. C’est comme si c’était un appel, je ne peux ne pas chanter c’est clair, ça me procure un sentiment de quiétude et d’apaisement, je suis heureuse dans le chant, je suis transformée ! Mon mari m’a dit la dernière fois : quand tu es sur scène tu es une autre Suzanne. Je le fais pour moi mais aussi pour le sentiment que ça procure aux autres. Je me rappelle d’une dame qui était venue me voir après une performance et qui m’avait dit : on peut lire dans votre âme quand vous chantez, ça m’a tellement touché. Et une autre qui m’avait dit : grâce à vous j’ai pu oublier un moment mes soucis.

Propos recueillis par Hamid Si Ahmed

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