Maliciouz, est une artiste en arts visuels spécialisée en art afro urbain contemporain. Du 19 au 1e mai 2022, elle nous conviait à son exposition Équinoxe qui se déroulait au 3333 boulevard Crémazie Est à Montréal, édifice dans lequel elle a aménagé dans ces nouveaux locaux au mois de janvier dernier.

Bienvenue chez l’artiste

Situé au 6e étage de l’immeuble de l’édifice, l’atelier en forme de L est vous accueille avec à l’entrée un canapé de style victorien qui est disposé en face de la porte pour nous indiquer dès notre arrivée que nous sommes à la bonne adresse. Au fond de l’atelier, une fenêtre offre une vue imprenable sur le quartier Saint-Michel. De vraies plantes vertes suspendues créent une atmosphère apaisante. L’entrée est gratuite et les œuvres exposées sont en vente. Son livre Maliciouz Art Afro Urbain Contemporain est disponible sur place, ainsi qu’une impression en édition limitée (30) de l’œuvre Équinoxe XV et quelques items signatures de l’exposition. Deux fauteuils et une valise placés juste sous un gigantesque murale invitent les visiteurs à la conversation. Comme d’habitude, les derniers sons à la mode ont droit de cité, le volume est parfait pour pouvoir bien s’entendre et échanger.

 

Une exposition qui nous fait voyager

Selon le Robert de poche, l’équinoxe est l’une des deux périodes de l’année où le jour a une durée égale à celle de la nuit. L’équinoxe de printemps a lieu le 21 mars, celui d’automne le 23 septembre. Maliciouz a-t-elle attendu que le printemps soit bien installé au Québec pour le vernissage de la série ? En tout cas, le 10 avril 2022, elle présentait l’exposition en ces termes sur son compte Instagram : « L’exposition Équinoxe présente une série d’œuvres réalisées à l’acrylique, à l’aérographe et à l’aérosol sur canevas noirs. Chaque œuvre est inspirée de l’effet qu’a la traversée solaire sur nous au moment où le jour et la nuit valsent à temps égal. L’essence des personnages de cette série fait écho à la manière dont vibre l’esprit humain en période d’équinoxe. »

L’exposition comprend 14 œuvres. Sur deux d’entre elles, Maliciouz n’a travaillé qu’à l’acrylique pour conserver un effet brut. On se sent convié à un voyage vers l’humanité originelle, où la splendeur de la femme est magnifiée, puisque 13 toiles des 14 représentent un personnage féminin.

Équinoxe XV

Équinoxe XV l’une des œuvres préférées de Maliciouz a été utilisée pour concevoir l’affiche de l’exposition. La toile de 20×40 pouces englobe une technique mixte. L’artiste a utilisé l’acrylique, l’aérographe et l’aérosol pour nous permettre de voire le buste d’une femme dont la peau rappelle la couleur de l’atanga, fruit originaire du Gabon. La femme porte un masque marron dans sa main gauche derrière lequel émerge un visage orienté vers la droite. On aperçoit une partie du front, l’œil droit, le nez, la bouche et le menton. Le masque et le visage se partagent une couronne qui est aussi la signature de Maliciouz. Un oiseau blanc dont la tête est légèrement inclinée est posé sur l’épaule droite de la femme qui semble communiquer avec parler lui. L’aile droite de l’oiseau va jusqu’au côté gauche de la tête de la femme et du masque comme pour les draper. Des fleurs blanches et parme couvrent les épaules de la femme tel un délicat manteau. La femme porte deux bagues en or à son index, une autre au majeur et une autre à son annulaire gauche. Il convient de préciser que les bagues sont aussi également serties de diamants. Sa main droite est posée sur sa poitrine comme pour représenter un acte de foi. La femme porte également une bague à l’annulaire droit. Son poignet droit est orné de deux bracelets en or. Autour du cou, elle a un ras-de-cou en or et une chaîne qui lui arrive à la poitrine.

Maliciouz explique que le masque que la femme semble porter est son visage et que ce qui paraît être sa vraie figure s’avère être son esprit. L’oiseau est son protecteur : « Tout le monde a besoin d’être protégé ».

Équinoxe XVI

Sur cette toile de 24 x 48 pouces, une femme a l’air de se défaire de sa tête alors qu’émerge un autre visage qui comme représenterait son esprit. La femme a un oiseau posé sur chacune de ses épaules. L’oiseau de droite est davantage orienté vers la tête. L’oiseau de gauche se penche vers l’esprit.

La femme porte des créoles de taille moyenne à ses oreilles, deux chaînes à son cou, deux bracelets à chaque poignet. Tous ces bijoux sont en or. La femme est tatouée près de l’œil gauche et sur l’extérieur de l’avant-bras droit. Pour Maliciouz, les tatouages renvoient au tangible puisque le corps peint n’est finalement qu’un esprit. L’effet vaporeux perçu grâce à l’utilisation de l’aérographe donne une aura spirituelle à l’œuvre qui donne l’impression d’être en présence d’êtres incarnés.

Équinoxe X

Cette toile de 24 X 36 pouces nous fait revivre le ténébreux voyage des personnes déportées d’Afrique et mises en esclavage dans les Amériques à cause des fleurs pourtant de couleurs chatoyantes posées sur la tête du personnage comme pour dix autres personnages féminins de la série.

En effet, il paraît que certaines femmes se mettaient des graines dans les cheveux en se coiffant avant de partir vers cet horrible inconnu. Quitte à être arrachée d’un sol, autant emporter avec soi de quoi replanter ailleurs. Tant qu’il y aurait de la vie, il y aurait de l’espoir.

Par extension, l’œuvre nous fait penser aux Tamouls embauchés pour aller travailler aux Antilles françaises des siècles plus tard. Ils n’étaient pas partis avec des graines, mais avec le savoir nécessaire pour recréer leur gastronomie à partir des plantes qu’ils trouveraient sur place.

La phrase inscrite sur la couronne de la femme de la murale de l’atelier de Maliciouz confirme selon moi mon voyage historique : « On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a et avec ce qu’on a on fait ce qu’on veut. »

Tout comme les autres femmes des œuvres de l’exposition, la femme d’Équinoxe X porte des bijoux en or. Certaines femmes portent des brassards, d’autres ont deux fois les oreilles percées, l’une porte un anneau au septum tout en ayant le nez percé. Il faut aussi préciser que les manucures de ces dames sont impeccables.

Équinoxe XVII

Équinoxe XVII nous replonge dans le roman de Raphaël Confiant, Madame St-Clair, Reine de Harlem publié aux Mercvre de France. Cette œuvre est la plus grande de la série et elle mesure 48 x 60 pouces.

La femme d’Équinoxe XVII est également couronnée de fleurs. Les yeux fermés, elle se délecte d’un poteau de cannabis qu’elle tient de la main gauche. La fumée du poteau est rouge sang. Deux bagues à l’index et un à l’annulaire enjolivent cette main. Quatre bracelets en or ornent le poignet gauche. Le bras droit est plié sous la poitrine de la femme comme pour cacher l’absence d’un sein. Tout d’un coup, je pense aux Amazones et aux femmes qui ont survécu au cancer du sein. La femme d’Équinoxe XVII porte également trois bracelets en or au poignet droit et des bagues à son auriculaire et son annulaire. Deux oiseaux blancs semblent attirer par l’énergie dégagée par la femme, l’un se pose sur son épaule gauche, l’autre sur sa main droite. La présence des oiseaux me donne le sentiment que cette femme est loin d’être impitoyable et cruelle comme l’était Madame St-Clair, le personnage du roman de Raphaël Confiant. Bien malgré elle Madame St-Clair était une précurseure de l’affirmation féministe afro-américaine, qu’en est-il de notre personnage ?

Le personnage d’Équinoxe XVII se veut être une femme gangster comme le confirme Maliciouz. Elle s’impose au milieu des multiples femmes caractérielles présentées au cours de l’exposition. Elle a d’ailleurs son propre mur. Maliciouz la présente comme la Matriarche de cette série.

Dans le New York des années 1920-1940, Stéphanie St-Clair s’enrichit et devint une icône à Harlem, mais aussi dans nombre de ghettos noirs du nord des États-Unis. L’atelier de Maliciouz se trouve dans le Nord-Est de Montréal, à Saint-Michel.

« Ghetto » est un terme que les personnalités politiques ne veulent guère entendre à Montréal et pourtant bon nombre de personnes résidant dans certains quartiers ont l’impression d’être des citoyens de seconde zone, d’autant que l’emphase est souvent mise sur ce qui va mal dans les communautés noires.

On constatera que la taille de la toile est à la mesure de ce que l’on présente dans les médias notamment. Les histoires de succès y sont rarement présentées aux dires de certains.

En tout cas, la femme d’Équinoxe XVII est bien visible et ne cache pas sa prospérité, tout comme les autres personnages féminins de l’exposition. Mais en quoi serait-elle une femme gangster mise à part son attitude ? Laissons-lui sa part de mystère.

Maliciouz souligne qu’il n’y a souvent qu’un type de richesses qui est valorisé dans les communautés noires. Cependant la propriété intellectuelle, les arts sont aussi des valeurs nobles comme nous le prouve si bien Maliciouz, qui s’affirme en tant qu’artiste indépendante de surcroît.

Natacha Odonnat

By admin

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