Deux Guatemala : l’un occidental; l’autre autochtone. Mais, en réalité, il y a autant de Guatemala que de peuples habitant dans son sein. On dénombre exactement 23 peuples autochtones et presqu’autant de langues autochtones parlées au pays. Le Guatemala est en effet, avec la Bolivie, un des pays à forte composante indigène dans le sous-continent latino-américain.
Ainsi, dans une société où il y a eu un conflit qui a fait plus de 200 000 morts (dont 80 % étaient d’origine maya), de milliers de disparus, presque 500 000 réfugiés et un million de déplacés internes, le fait de tourner un long-métrage sur la réalité d’un peuple maya et en langue maya fait de lui, un film courageux. Très courageux.
En effet, le 10 mai 2013, l’ancien dictateur Rios Montt fut condamné à 80 ans de prison, soit 50 ans pour génocide et 30 ans pour crimes de guerre. La condamnation fut annulée 10 jours après, mais il reste qu’il s’agit d’un procès historique, car on a mis de l’avant des revendications de justice de peuples autochtones.
Ixcanul nous parle de cette réalité autochtone. Pas celle du génocide, mais plutôt de ses causes : discrimination, pauvreté extrême, exploitation, etc. Dans une optique de cinéma documentaire, on a le sentiment d’y assister en faisant de l’observation participante. Le film tourné entièrement en langue maya nous fait découvrir le choc quotidien des habitants de ce pays : entre concitoyens, on ne se comprend point, et quand on le fait, c’est par l’intermédiaire d’un interprète qui peut nous dépeindre une fausse réalité…
Maria, jeune femme issue de la communauté Kaqchikel, est confrontée au poids des traditions. Elle doit se marier avec un homme qu’elle n’aime pas du tout…et est condamnée à ne pas vivre ses rêves : connaître la ville, sortir du pays, voir d’autres choses, ou aimer celui qui changera sa vie. Enceinte et promise à un homme, sa mère fait tout pour changer cette situation : l’avortement est envisagé, mais cela ne fonctionne pas. Elle doit le garder et assumer les conséquences de son geste perturbateur de l’ordre traditionnel.
Blessée par un serpent dans un rituel cherchant à enrayer la présence des serpents dans un lopin de terre par le fait de porter un enfant en elle, Maria subit la discrimination et la malveillance des gens sans scrupules de la ville : elle est sauvée, mais son enfant « vendu » à des étrangers par l’homme qui la veut comme femme. Elle n’y échappe pas finalement à « son » destin…mais plus par nécessité que par tradition. Dès lors, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un ordre immuable. Les conditions matérielles de vie peuvent être changées et, par le fait même, la destinée des jeunes femmes.
Jayro Bustamante signe un premier long-métrage fort de sens et interpelle toute une société. Il cherche de toute évidence un dialogue entre tous ces « Guatemalas » qui coexistent dans un seul et même territoire et réussit son pari avec brio.
Ixcanul, Jayro Bustamante, Guatemala, France | 91 minutes | 2015
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