Sous la direction de Patrick Voisin (professeur à l’université de Toulon), Réinventer la brachylogie, entre dialectique, rhétorique et poétique[1], rassemble des chercheurs autour du concept de la brachylogie. Une notion qui a débuté avec Hippocrate, est considérée dans la langue française comme une figure. Cette notion se trouve parfois dans la rhétorique, la stylistique ou la linguistique à défaut de dialectique où Socrate l’avait inséré. C’est autour de l’idée de la brachylogie que trente- trois chercheurs ont apporté leur lecture selon différents angles de visions.

Alain Rey définit dans Dictionnaire de la langue française : « Brachylogie. N. F est emprunté (1789) au bas latin brachylogia, lui-même emprunté au grec brackulogia (Hippocrate : « brièveté, concision dans le langage ». Le mot dénomme l’emploi d’une expression comparativement courte, une élocution concise aboutissant parfois à l’obscurité ». 

Aurélia Hetzel : Une grande histoire en miniature : Jonas dans La bible et dans le Coran

Cette chercheure établit un parallèle entre l’écriture de Jonas dans La bible et Le coran. Une analyse argumentée est proposée. Elle affirme que : « Si l’histoire de Jonas fait signe dans les Evangiles et dans le Coran, c’est bien qu’elle signifie plus que ce qu’elle raconte : récit allégorique, conte théologique, apologue, l’histoire est courte, mais comme l’écrit Henri Meschonnic : « Cette légende est un symbole du légendaire, du trop de sens. Jonas sursignifie. Il fait d’emblée un au-delà du sens. C’est une parabole des paraboles ».

Nathalie Cros : La douleur entre chant et cri dans Les Troyennes de Sénèque

Nathalie Cros focalise son étude sur trois axes : tout d’abord le sacrifice de la dernière fille du roi Priam et de son épouse Hécube, puis l’exécution du jeune fils d’Hector et Andromaque, Astynax, et enfin la répartition des captives troyennes entre les chefs achéens vainqueurs. L’auteure constate que : « Les effets poétiques de la brachylogie sont rendus encore plus saisissants quand on les met en relation avec certains passages plus long. Un système d’échos et de renvois fait en effet correspondre l’évocation brève, tendue à l’extrême, et son développement ».

Isabel Dejardin : L’écriture suétonienne ou la stratégie du silence

Isabel Dejardin porte son analyse sur le chapitre XXI de Diuus Claudius de Suétone. Elle discerne trois tropismes : la juxtaposition, la concentration, l’ablatif absolu.

Mathieu Pelat : L’inscription latine d’Hasparren

Quatre vers pour une union énigmatique. Mathieu Pelat prend quatre vers en transcription latine du poète Vérus et constate que « l’écriture bascule du court dans le bref, et s’avère ressortir à une pratique brachylogique ».

Yves Chetcuti : Eléments de cosmographie antique dans le mythe de Callistro

Yves Chetcuti, à partir d’une citation tirée du livre Le Dauphiné traditionnel, Tome III : « Je suppose (…) que les dictons dont les versions iséroises sont semblables à celles de la Savoie et à d’autres qui me viennent des Hautes-Alpes, n’est qu’un reste de ce culte très ancien qui faisait de l’Ours le dispensateur du soleil, du temps à venir et par suite de l’ordre à suivre dans les travaux agricoles » de Van Gennep analyse la notion de « l’ourse » stellaire dans différents contextes.

Etienne Wolff : Les Adages d’Erasme entre brièveté et longueur

Etienne Wolff analyse les Adages d’Erasme en considérant qu’elles sont une œuvre longue consacrée à une forme brève. Et ajoute que « quand l’adage est présenté en vers, il permet de transmettre une sagesse et une vérité morale. Leur breuitas est ainsi associée à chacune des trois fonctions de l’éloquence : instruire, plaire, émouvoir ».

Frah Stiti Haddad : L’instrumentalisation des proverbes dans les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis de Bonaventure des Périers

Farah Stiti Haddad appuie son étude sur les proverbes dans Nouvelles récréations et Joyeux Devis. Elle voit dans Nouvelles récréations que les proverbes ont « une fonction synthétique » et dans Joyeux Devis, ils servent à « faire avancer le récit au même titre que les actions elles-mêmes ».

Mohamed Anis Abrougui : La synergie entre forme brève et écriture longue dans les Maximes de La Rochefoucauld

Mohamed Anis Abrougui cerne trois types de formes de maximes chez La Rochefoucauld : interrogative, exclamative, négative. Il considère que « de l’écriture brachylogique favorisant le dialogue avec le récepteur du message se construit une feinte rhétorique permettant au livre de plaire avant tout ».

Ines Zahra : De l’imaginaire classique à l’imagerie romantique. Les Contes de Perrault lus par Gustave Doré

Ines Zahra considère que « le caractère brachylogique des contes de Perrault réside dans leur indétermination spatio-temporelle, la simplicité du schéma narratif, l’épuration des descriptions des personnages, la dimension performative du verbe et son incidence sur l’action, ainsi que le jeu sur l’équivoque qui offre, de fait, un large éventail de significations ».

Annie Rizk : Espace sémiologique de la brachylogie dans Salammbô ou la littérature comme art de ne pas dire

Annie Rizk souligne que « Ce n’est pas dans son acception stylistique que nous évoquons le terme de « brachylogie », mais dans le sens d’origine évoqué par Platon dans le Gorgias ou le Protagoras. Opposée à la macrologie, dans la recherche dialectique de la vérité, la brachylogie est mise en avant du fait de sa concision, son absence d’artifice rhétorique et la place laissée à l’interlocuteur pour faire naitre la vérité à travers à travers le dialogue ». Elle axe son analyse sur l’œuvre de Flaubert.

Jihane Tbini : « Pour qu’il grandisse/ croisse, il faut que je diminue ». Lecture d’un énoncé brachylogique

Jihane Tbini définit la brachylogie à partir de la formule de Saint-Jean-Baptiste transcrite de la Bible de Jérusalem : « Il faut que lui grandisse, et que moi je décroisse » et la compare à formule reprise de deux façons différents par Flaubert dans Hérodias. Mathieu Perrot : « Ecriture d’épargne ». Le raccourci dans la poétique d’Henri Michaux. Matthieu Perrot axe son analyse sur Poteaux d’angle et conclut que : « L’écriture de Michaux est clairement tournée vers la brachylogique, qui se trouve à la fois dans le goût du détail minuscule et dans celui du résumé ou de la formule généralisatrice et synthétique ».

Injazette Bouraoui : Les enjeux de l’écriture brachylogique chez Michaux et Cioran

Injazet Bouraoui apporte une étude comparative entre Tranches de savoir (1950), Syllogismes de l’amertume (1952) et Poteaux d’angles (1978), De l’inconvénient d’être né (1973). Elle explique que : « Tout comme Michaux, Cioran renverse la possibilité d’une représentation héroïque du sujet ; il s’agit de s’auto-dévaluer pour atteindre un véritable héroïsme intérieur ».

Simona Modreanu : Le paradoxe cioranien et la (brachy) logique du tiers inclus

Simona Modreanu souligne que : « Au fond, Cioran est un paradoxe vivant lui-même, qui se met en scène à travers une série d’auto- commentaires plus déroutant les uns que les autres (…) ses textes sont émaillés de considérations dramatiques sur le désarroi d’un homme qui veut mais ne peut croire. Dans Le crépuscule des pensées, l’auteur écrit : « La lucidité : avoir des sensations à la troisième pensée ».

Marie Cazenave : Brachylogie et Brachygraphie chez François Dufrêne. L’exemple de la Cantate des mots camés

Marie Cazenave voit dans la Cantate, élaborée pendant sept ans, trois volets de significations, la littérature, les mythes et les actualités, qui représentent la source d’inspiration la plus importante. Le mode de construction n’est pas sémantique mais syllabique. La brachylogie appliquée à Cantate fonctionne comme un jeu sur l’implicite.

Abdelouahad Mabrour : La chute/Phrase brève. Un signe de clôture de la description

Abdelouahad Mabrour souligne : « Sur le plan syntactico-rythmique, la chute met en œuvre deux notions très utiles à cet effet : la protase et l’apodose ».

Jessica Arrufat : Quelle brièveté dans l’œuvre de Blaise Cendrars, Bourlingueur ?

Jessica Arrufat souligne : « Cendrars réussit-il le tour de force de mettre la brièveté, forme antique descendant de breuitas et auparavant de la brachylogia, au service d’une écriture moderne, celle qui secoue un rythme primitif ».

France Darsu : L’art du bref dans la microfiction

France Darsu procède à la définition de la microfiction comme : « Un énoncé fictionnel en prose compris entre quatre et mille mots, qui raconte de manière condensée et économique, dans ses moyens stylistiques, rhétoriques et poétiques, la quintessence d’une péripétie survenue à un ou plusieurs personnages ». Et ajoute : « Dans les microfictions, le jeu avec les signifiants se double souvent d’un jeu avec les signifiés ».

Jedrzej Pawlicki : Les formes brèves de Yasmina Khadra. Pour un espace- temps brachylogique

Jedrzej Pawlicki appuie son analyse sur Chants cannibales, cousine K, La rose de Blida. Il souligne que : « L’espace-temps réduit est un signe de la parole qui a été refusée à la population, de la culture antidémocratique qui ne permet pas aux citoyens de s’exprimer librement » et ajoute : « Cet espace « autre » recherché par les personnages khadraiens a sa source dans les rêves et les ambitions impossibles à réaliser dans un environnement hostile ».

Rebecca Josephy : Mané, Thécel, Pharès. Quand un Dieu laconique prend la plume

Rebecca Josephy se base sur l’expression mané, thécel, pharès qui est tirée d’un des rares épisodes bibliques. Il explique : « mané, thécel, pharès peut à la fois signifier la fin d’un empire, la signature d’un fait divers ou une marque du destin d’un personnage (…) l’expression mané, thécel, pharès est une formule qui illustre ce qu’est l’écriture brachylogique : trois mots pour un étoilement du sens illimité ».

Manel Belhadj Ali : Transfert d’images dans l’adaptation de Sous les tilleuls d’Alphonse Karr

Manel Belhadj Ali prend comme support d’analyse Sous les tilleuls d’Alphonse Karr en explorant la traduction de l’égyptien Mustafa Lutfi al-Manfaluti (1876-1924). Elle souligne que : « Le traducteur situe son travail dans une esthétique brachylogique, esthétique de la brièveté, sans négliger le sens ».

Ghassan Lufti : Brachylogie et traduction. Quand le Mythe de la clarté se fait Procuste

Ghassan Lufti apporte un regard critique sur la vision idéologique de la traduction qu’il considère comme anti-brachylogique. Il explique : « Si le brachylogique, c’est-à-dire le discours bref, est bel et bien un choix esthétique, la traduction explicitante et clarifiante représente un manque de tact à l’égard de l’intention de l’auteur (intentio auctoris) et de l’intention du texte (intentio operis) ».

 Jean- Bernard Cheymol : Brachylogie et raccourcissement des discours médiatiques

Jean-Bernard Chevmol se base sur les discours médiatiques pour analyser l’impact de leur brièveté et souligne que : « Si l’on considère que ce terme rend à recevoir chez Platon dans le Protagoras, alors le sens de la brièveté qui se manifeste dans les échanges vivants qui font la communication est à chercher moins dans une substance close et repliée sur elle-même que dans sa capacité à relancer ou à favoriser la dynamique de ces relations ».

Abdellatif Makan : Compétence argumentative iconique et principe de l’économie langagière

Abdellatif Makan appuie son analyse sur l’image publicitaire. Il explique les compétences argumentaives selon des visions par métaphore et par comparaison, il affirme : « L’énonciation dans l’image publicitaire sollicite peu la composante séductrice, fondée sur l’émotion et sur le plaisir qui trouvent toute leur expression dans le mouvement des lignes, dans les couleurs, dans la beauté des personnages, dans les scènes touchantes ».

Habiba Gafsi : Less is more ! Il existe une brachylogie de la couleur

Habiba Gafsi s’appuie sur le « carré noir » du peintre russe Malevitch et analyse la portée de la peinture qui se débarrasse de l’objet et la couleur. Elle situe la notion d’une brachylogie artistique selon Ludwig Mies Van der Roche : « less is more », ce qui signifie « moins, c’est plus ».

Marie Heyd : Crash de David Cronenberg. Brachypoétique de la répétition

Marie Heyd s’appuie sur le film Crasch de David Cronenberg. Elle constate que : « Crasch interroge le monde commun caractérisé par une permanence auquel les médias contribuent ».

Tasnime Ayed : Got ou Asoiaf ? Le Trône de Fer…en bref !         

Tasnime Ayed axe son analyse sur Le Trône de fer, une série de romans fantasy. La saga littéraire écrite par George R. R Martin, adaptée sous forme de série télévisée par la chaîne américaine, allie l’épique, l’historique et le fantastique dans un cadre spatio-temporel. Elle se réfère à la version originale en anglais et explique : « Plus qu’un cycle de romans fantasy, A song of Ice and Fire, saga littéraire (…) étend les lisières du genre narratif pour être adaptée au petit écran. Alors que le titre de la série Game of Thrones est un raccourci sémantique concis où le court se déploie à travers des titres d’épisodes, A song of Ice and Fire, raccourci sémantique condensé, structure en bref une chaîne de renvois référentiels à la fois internes et externes à la fiction littéraire ».

Anais Goudmand : Une brève poétique des séries courtes

Anaîs Goudmand analyse les séries télévisées courtes appelées en anglais Shortcom. Elle cite Un gars, une fille, scène de ménage, nos chers voisins etc. Elle affirme que : « La tension entre temps long et temps court qui caractérise les shortocoms (…) apparaît comme éminemment brachylogique ».

Jacques Isolery : La crèche provençale. Brachylogie réduite ou miniature ?

Jacques Isolery analyse la crèche provençale, « produits de 1789 » appellation par G. Gamet. Il met l’accent sur les santons et souligne que : « Le rituel de la crèche reconstitue chaque année l’image de cette forme brachylogique conjuguée au futur antérieur. La crèche provençale inscrit le paradigme d’un temps à la fois premier, ultime et répétitif : un Kairos ».

Bertrand Sajaloli : La mare, perle d’eau, œil de terre

Bertrand Sajaloli analyse la notion de la mare en considérant que : « Eriger la mare en objet historique permet ainsi d’entrer dans l’intimité de l’histoire rurale et offre un regard aquatique et inédit sur l’évolution des campagnes françaises ». Et ajoute : « L’eau des mares est aussi l’eau des larmes, des regrets et du chagrin ».

Bi Kacou parfait Diandué : Brachylogie. Théorie, méthode et pratique

Bi Kacou parfait Diandué axe l’idée sur la symbolisation qu’il définit comme : « un procédé de codification du signifiant et du signifié par l’imbrication de schèmes » et ajoute : « Le symbole est lui-même un antagonisme intragénétique et une ambivalence fonctionnelle ». Il précise que : « L’enjeu de la brachylogie reste l’évaluation de la représentation de la totalité dans l’essentiel, ou la saisie du sens de la figuration de la totalité par l’essentiel ».

Patrick Voisin : Pour une conclusion provisoire. Deux auteurs à l’épreuve de l’écriture brachylogique

Patrick Voisin appuie ses arguments sur Le Quart Livre de Rabelais et un texte tiré de Bucoliques d’André Chénier. Il analyse Pantagruel et Héraclès (Hercule) dans le contexte cité par les deux auteurs. Il explique : « (…) C’est dans le syncrétisme que s’origine le pantagruélisme, cette nouvelle religion qui est au cœur du Tiers livres, du Quart livre et du Cinquième livre » et s’interroge : « Le poème de Chénier est-il une épopée-minus ou une tragédie-minus ? En effet, il ne manque pas d’interférences entre poésie épique et poésie dramatique, comme de nombreux chapitres de la Poétique d’Aristote ».

L’ouvrage Réinventer la brachylogie, entre dialectique, rhétorique et poétique réunit des chercheurs autours de la notion de la brachylogie appliquée sur des textes littéraires, poétiques, des œuvres picturales ou filmiques. La brachylogie trouve différents sens selon le corpus dans lequel elle est analysée.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Sous la direction de Patrick Voisin, Réinventer la brachylogie, entre dialectique, rhétorique et poétique, Ed/ classiques Garnier, 2020, 624 pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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