Julien Berjeaut, dit Jul est un dessinateur de presse français qui illustre en finesse tout un tas de situations pour nous amener à réfléchir. Il s’est fait connaître avec Il faut tuer José Bové (2005). Depuis 2016, il est le scénariste des Aventures de Lucky Luke que dessine d’une main de maître Achdé. En 2022, il publie avec Libon un Spirou assez loufoque dans le monde des fous.
Mais ce sont ses collaborations avec Charles Pépin dans 50 nuances de Grecs (2017-2019), Silex and the City (2009-2020), Platon La Gaffe (2013) et La Planète des Sages (2011-2015), qui font la marque de ce dessinateur qui plaisante de tout[1].
Infatigable, Jul nous embarque cette fois-ci avec Alfonso Aïtor dans un projet de gastronomie littéraire pour déguster, à travers des planches de dessins et des mots, la grande histoire de la gastronomie.
Dans La Faim de l’histoire[2], les deux complices font de jolis jeux de mots pour manger en compagnie de Jésus, Don Quichotte, Gandhi, Staline et fidèle Castro.
Professeur de littérature et civilisation hispaniques, Alfonso Aïtor partage pour sa part dans cet album documenté, des récits qui caractérisent la culture culinaire dans différentes sociétés. On sillonne le monde à la rencontre de l’homme de Cro-Magnon, en passant par les Pharaons d’Égypte jusqu’aux samouraïs au Japon. Les sources bibliographiques permettent aussi de situer toutes les anecdotes culinaires chez les Aztèques de l’Amérique pré-colombienne, chez les Ottomans en Turquie, ou chez les Qin en Chine. Rien n’échappe à Monsieur « Sauce Gribiche » qui articule cet ouvrage en 25 parties à lire sans modération.
L’album est disponible au Québec depuis mars 2024.
Réda Benkoula
Extraits choisis
Manger dans le désert avec les Touaregs
« Loin d’être un espace vide, le désert du Sahara est parcouru par des routes commerciales reliées en réseau de villes et jalonnées d’oasis. Ce vaste marché ambulant a connu son apogée au XIVe siècle. Pour les peuples de caravaniers touaregs, nomades musulmans berbérophones drapés d’un chêne bleu à l’indigo, boire et manger est une épreuve ancestrale. Dans cette histoire, les dattes sont importantes.
[…]
Le sel, qui a la vertu de retenir l’eau dans le corps, est donc une denrée rare et précieuse.
Ibn Battuta, célèbre explorateur marocain médiéval, en donne la mesure dans ses écrits. Parti de Fès, il traverse le Sahara en 1352-1353 et décrit la ville de Teghazza et sa grande saline prospère aux confins de l’Algérie et du Mali actuels.
[…]
Volontiers râleur et ironique, Ibn Battuta est aussi un gourmet curieux qui consacre une large place à des observations culinaires – comme à des confidences sur ses troubles digestifs. S’il se plaint du mauvais goût de l’eau et des mouches dans le désert, il note toutefois avec bonheur l’abondance des truffes des sables, de couleur blanche, dont le petit goût aillé à la réputation d’être aphrodisiaque !
Le modeste menu de mineurs de sel qu’il décrit en 1352 en dit long sur ces routes commerciales : elles dessinent déjà un grand marché saharo-sahélien. Ibn Battuta nous informe aussi que la denrée miraculeuse de la région, c’est la datte, petite ogive sucrée ultra-énergétique. Les noyaux des fruits crachés par les caravaniers à proximité des points d’eau seraient à l’origine des premières oasis apparues à la fin de l’Antiquité, ces enclaves luxuriantes qui servent d’air de repos lors de la traversée. La datte, aubaine divine ? On peut le penser puisque dans le Coran, Allah modèle le palmier à partir de la même argile que celle avec laquelle il vient de créer Adam, conférant au dattier une place de choix dans la Création ». (Page 29)
[1] 50 nuances de Grecs et Silex and the City ont été adaptées en séries animées et diffusées sur la chaine Arte.
[2] La Faim de l’histoire – Volume 1 | Alfonso Aïtor (Scénario) Jul (Dessin) | Dargaud | 2023 | 112 pages
