Le scénariste Vincent Brugeas et l’illustrateur Ronan Toulhoat qui ont déjà réalisé ensemble plusieurs projets, ne sont pas des novices des thèmes d’aventures puisqu’ils ont publié Conan le Cimmérien, Block 109, Le roy des Ribauds, Ira dei, Chaos Team et tout récemment Cosaques qui retrace le périple de Karlis, un jeune polonais qui déserte vers 1634 le régiment du Hussard dont il vient d’intégrer les rangs après une bataille sanglante.
Avec La république du crâne[1], les deux auteurs nous font remonter le temps pour s’imprégner de la piraterie à l’aube du XVIII e siècle. Plus qu’une une bande dessinée, l’œuvre est avant tout, une remise en perspective de l’histoire de la piraterie.
D’ailleurs, si les deux auteurs accordent un souci aux vérités historiques, ils corrigent au passage une époque qui a largement été magnifiée et romancée par le grand écran. De plus, pour aider les lectrices et les lecteurs à s’immerger dans le récit, ils proposent dans ce volumineux ouvrage de 224 pages, un texte de trois pages qui dépoussière la piraterie et l’esprit qui a guidé les aventuriers du grand large.
Extrait :
- L’évêque brésilien Helder Camara (1909-1999), connu pour sa lutte contre la pauvreté, avait dit : « Il y a trois sortes de violences. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui nait de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naitre, et la troisième qui la tue.
- Les pirates n’étaient qu’une seule de ces violences, la seconde. Aujourd’hui, nous ne retenons d’eux que l’image de bandits des sept mers, de voleurs et de tueurs. Nous les imaginons comme la propagande de l’époque les a dépeints. Nous avons finalement la mémoire bien courte. Nous fustigeons les horreurs passées de l’esclavage en oubliant que la société dans laquelle nous vivons applique encore la logique qui a créé ce commerce infâme. Et, nous vous y trompez pas, elle y reviendra quand le monde économique le lui dictera. Nous ne parlerons plus alors « d’esclavage », mais nous préférons le terme « salarial ultra-flexible » ou tout autre vocable libéral.
Le récit
Avant d’embarquer dans les bateaux des pirates, Brugeas et Toulhoat ont choisi de mettre en intérieur de couverture une carte des Antilles telle qu’on la cartographiait en 1707. Celle-ci permet au lectorat de se repérer, tandis que le Neptune maintient son cap Nord-Nord-Est.
À bord, le capitaine Sylla et son équipage rattrape un navire battant pavillon anglais. L’occasion est trop belle pour le pirate qui s’empare du vaisseau de Sa Majesté, puis nomme son quartier-maître Olivier de Vannes en tant que nouveau capitaine du navire. Si la prise est bonne, elle ne fait pas l’affaire pour autant de Sir Charles H Whillman, qui est non seulement dépossédé de son navire, mais en plus, écope de plusieurs coups de fouets, avant d’être libéré dans une petite embarcation en compagnie de ses seconds.
Olivier de Vannes qui vogue vers le large, tient un journal de bord en guise de témoignage des périples des pirates. Bientôt, il croise un bateau portugais à la dérive à bord duquel l’équipage est constitué d’hommes noirs qui sont dirigés par une femme la reine Maryam.
Cette introduction de cette œuvre passionnante, où l’emphase est mise autant sur les personnages que sur le monde de la navigation, engage les lectrices et les lecteurs dans une aventure, où les protagonistes doivent lutter pour leur survie, tout en évitant les navires de la Royal Navy, qui n’ont pas dit leur dernier mot.
À travers La république du crâne, Brugeas et Toulhoat nous font revivre tout un pont de l’histoire non sans oublier qu’être pirate, c’était accepter de mourir libre la corde au cou, plutôt que vivre les fers aux poings.
Réda Benkoula
[1] La république du crâne | Vincent Brugeas (Scénario), Ronan Toulhoat (Dessin, Couleurs) | Dargaud | 2022 | 224 pages
