Il fait partie désormais du patrimoine cinématographique québécois, La turlute des années dures, nous rappelle d’abord que l’économie est cyclique, rythmée par des périodes, tantôt de croissance, tantôt de dépression. Et que dans les moments de crise, c’est toujours la population besogneuse qui en pâtit, tandis que les plus fortunés s’enrichissent indécemment davantage ! Le film a été produit en 1983 durant la période de grande récession économique mondiale pour nous raconter la Grande Dépression des années 1930. Après 40 ans, le film est toujours d’actualité dans une conjoncture économique marquée par une inflation galopante et une récession mondiale qui se pointe à l’horizon.

C’est la version restaurée qui a été projetée à l’Office national du film dans le cadre de la 26e édition des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, devant une galerie composée de plusieurs participants (technicien, musicien, monteur…) à la réalisation de ce film venant partager les coulisses de ce documentaire. Cette projection spéciale, qui célèbre le 40e anniversaire de ce film, a vu la présence du réalisateur Pascal Gélinas et de la productrice Lucille Veilleux qui ont partagé un moment de discussion intéressant avec l’audience.

La trame du film repose sur des mises en situation qui évoquent des souvenirs, relatés dans des détails par des témoins ayant vécu la Grande Dépression dans le Canada français. Cet exercice a été fait sur des lieux de mémoire (usine, ferme, forêt, rue, gare, maison…), ce qui permet de rendre présent le passé d’une manière évocatrice et touchante. Les personnages ont rendu un récit percutant et émouvant, qui nous restitue une mémoire collective d’une classe ouvrière croupie dans la misère, mais résiliente, éveillée et en quête d’une émancipation à l’égard d’un système économique fondamentalement injuste et inégalitaire. La qualité des conteurs et l’importance des faits relatés donnent de l’épaisseur aux témoignages et de l’authenticité à l’histoire. Ces témoignages ont été enrichis par un fonds d’archives composé d’images et de films d’époque, qui s’intercalent entre deux séquences du récit pour appuyer les propos des narrateurs. A ces archives viennent se greffer des manchettes de journaux de cette époque tels des intertitres dans le cinéma muet. Cette technique permet de donner des repères historiques et de plonger le spectateur dans l’histoire dans un documentaire dépourvu de tout commentaire off (voix off, texte, graphique…). La crise est contée dans La turlute des années dures, mais également et surtout chantée comme l’indique le titre de ce documentaire. Le film est rythmé par des chansons populaires diffusées et interprétées quelquefois par les témoins eux-mêmes, et qui racontent d’une manière pertinente la crise et la misère de la classe ouvrière. Ces turlutes donnent toute sa force au film et impriment son originalité. Elles étaient, pour la classe ouvrière, un moyen de résilience, de lutte et d’apprivoiser les affres de la crise ! La chanson comme « politesse de désespoir » quand la vie est dure aux besogneux! Chanter sa misère, son indigence et son désarroi pour les apprivoiser et les surmonter !

Le film de Richard Boutet et Pascal Gélinas pose un regard critique sur la crise économique et son caractère cyclique, et invite à la réflexion à partir d’une mémoire collective d’un passé riche en enseignements. C’est un film engagé, un acte politique vital et un témoin de l’histoire portée par la chanson populaire, qui a cette faculté de dépeindre les choses d’une manière percutante et poétique pour toucher l’âme et le cœur!

Sofiane Idir

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