La 22e saison du MAI (Montréal, arts interculturels) – saison échafaudée à grands renforts de «si», «peut-être», «combien de mètres, de sièges» en pleine pandémie – est la saison de l’entre-deux, de l’oscillation, du balancier. Désespoir-espoir, déflagration-méditation, chagrin-regain, solitudes-solidarité, mort-vie.

Les artistes présenté-e-s en 2020-2021 au MAI naviguent aussi entre plusieurs pôles, ne se cantonnant à aucun. Leurs processus de création sont souvent basés sur le soin. Le soin de la terre, le soin de l’autre, le soin du corps, le soin de l’histoire (personnelle et politique). Le soin des expériences et des récits, qu’ils soient sombres ou lumineux. Le soin de l’écoute, de la rencontre. Le soin de l’insurrection. Le soin des mots, de la mémoire.

Le soin du public, l’attention portée à son consentement à être là, à participer, à accueillir.
Et aussi le soin du refus. Refuser de prendre à cœur, s’en foutre. Laisser faire, laisser tomber, lâcher prise. No future.

Les protagonistes de notre saison refusent de choisir. Iels-elles-ils trouvent l’un dans l’autre, la sollicitude dans le nihilisme, le plaisir dans l’inquiétude, le refus dans le consentement, le rituel dans la contestation, l’intimité dans la distance.

Dans cet esprit, le MAI se fait intimiste. Le théâtre est transformé par une installation de l’éclairagiste et artiste visuel montréalais Paul Chambers, dans une configuration pouvant accueillir un maximum de 20 spectacteurs-trices par représentation. Théâtre et galerie font la part belle aux solos. Aux créations relationnelles, pour petits publics. Aux expositions à la forte charge politique, qu’elles conjuguent avec poétique.

Mohamed Harb, Manal Mahamid, Mohammed Musallam, Mohamad Mustafa, Mohammad Obeidallah, Raeda Saadeh et Sharif Waked. Croisant les pratiques performatives et l’engagement politique, leur travail examine les difficultés de la vie quotidienne de la vie en Palestine.

Accessible 24 heures sur 24 pendant 5 jours, Sheuetamᵘ (3 novembre > 8 novembre 2020) est une installation déambulatoire et sonore créée par l’artiste Innue Soleil Launière. Le rapport au territoire de la performeuse s’y décline en performance, chant vocal, sons et images, notamment grâce à une technologie expérimentale reposant sur des capteurs de bio data. Puissante, cette pièce-cérémonie amplifie la présence Autochtone et bispirituelle.

Otipemisiwak (7 janvier > 6 février 2021) est un mot cri, qui fait référence au fait de vivre suivant ses propres règles. Les œuvres réunies dans l’exposition éponyme de Daphne Boyerfont appel au perlage numérique sur papier, textile et animation, puisant dans l’héritage

Métis de l’artiste visuelle et phytologue. À travers cette forme minutieuse d’art processuel, Boyer célèbre la vie et la culture d’une lignée féminine, celle de sa mère, de sa grand-mère et de son arrière-grand-mère.

En Afrique du Nord à travers l’art vidéo et l’installation. S’intéressant à des révolutions antérieures aux soulèvements de 2011 et à leurs traces politiques et poétiques, cette exploration réunit les œuvres filmiques et vidéo et les installations de : Marwa Arsanios, Basel Abbas, Ruanne Abou-Rahme, Ali Cherri, Mohammad Shawky Hassan, Ali Kays, Raed & Rania Rafei, Jayce Salloum, Sanaz Sohrabi et Mosireen.

ESPACE INTER
Dans l’entre-deux
L’espace inter fait référence à l’espace interstitiel, où se déploient les propositions qui voyagent entre la galerie et le théâtre, qui façonnent des passerelles, traversent les frontières, et à travers lesquelles les pratiques et les lieux se décloisonnent.

Pour sa troisième édition, l’événement d’art biennal en direct PRENDRE PLACE : UNE SÉRIE DE PERFORMANCES (12 mai > 15 mai 2021) propose des performances, des collaborations et des installations de renommée internationale. Emplies à la fois d’irrévérence et de finesse, celles-ci échappent à toute catégorisation et prennent forme dans l’entre-deux : entre le nihilisme et l’existentialisme, entre le service funèbre et l’émeute, entre le rituel et l’orgie en fausse fourrure, entre le soin et le laisser-faire, entre le très tranquille et le tonitruant.

Le rituel japonais consistant à laver et à vêtir les personnes décédées. Imprégnée par le concept bouddhiste non-dualiste « soi/Soi », cette méditation autour du soin et de la mort met de l’avant des pratiques amoureuses queer, intergénérationnelles et interculturelles.

Ancrant sa pratique artistique dans l’écoute et la rencontre, Rajni Shaha a invité les êtres pluriel-le-s Fili Apothicair et Ses Seçkin Kaya Çınarà à travailler avec iel pendant un an. Marquant la fin de ce processus, la performance Mountain: Dismantle (12 mai 2021) constitue un moment de repos, d’écho et d’abandon.

Conçue et portée par Tobaron Waxman, la performance anticoloniale Gender Diasporist (13 mai 2021) s’empare de la demande de citoyenneté polonaise faite par l’artiste, une personne transsexuelle d’ascendance juive. Alliant vidéo, photo, performance vocale et artéfacts, ce projet auto-ethnographique fait appel à ce que Waxman appelle « les savoirs transsexuels ».

Babylift (13 mai 2021) d’Anh Vo porte le nom d’une opération d’évacuation d’enfants du Sud-Vietnam vers les États-Unis au cours de laquelle 78 d’entre elles-iels-eux sont mort-e-s. Commémorant ces vies oubliées, cette performance qui fusionne danse, vidéo et textes

juxtapose des mouvements érotiques avec des archives d’histoire violente, rendant la substance masculiniste de celle-ci queer. Le chorégraphe puise dans une vaste palette d’esthétiques (danse contemporaine occidentale, danses afro-diasporiques, rituels vietnamiens traditionnels, etc.)

Party en boîte à plusieurs étages, manifestation introvertie, concert de popsicle timide, sieste extrême, installation-conférence sur la fausse fourrure, cercle de guérison. Real Talk # 2.0 (14 mai 2021) de Randy Reyes, chorégraphe et artiste en performance, traite d’écologies érotiques et de dramaturgies opaques en matière de sexe.

Dans le solo Hotter Than a Pan (15 mai 2021), l’artiste en danse et conseiller-ère en mouvement Malik Nashad Sharpe entremêle danse, texte et actions. Expérimentant avec les ontologies Noires et queer, iel amplifie le pouvoir du corps marginal.

Sans se cantonner à une politique d’identification essentialiste, iel puise dans l’affect et le moteur du mouvement, sur une trame sonore de Danielle Brathwaite-Shirley.

Tendre et démoniaque? Beauty and the Beast (Amanda Apetrea et Halla Ólafsdóttir) combine danse dystopique et pornographique, poésie et musique dans DEAD (15 mai 2021). À travers une esthétique métal pollinisée par l’univers de la sorcellerie, la proposition explore les questions de corporéité, de sexualité et de genre, tout en faisant appel à la conscientisation du consentement chez le public.

ESPACE SUD – THEATRE
Récits diasporiques, rencontres et résistances

Artiste interdisciplinaire et écrivain-ne, Kama La Mackerel combine poésie, conte, danse, langues maternelles et débris de langages coloniaux dans un solo tant personnel que politique : ZOM-FAM (6 octobre > 10 octobre 2020) est le récit d’un-e enfant transgenre vivant sur une plantation de canne à sucre à l’île Maurice pendant les années 1980-90.

Danse, théâtre et musique s’entrecroisent dans Sur ce chemin, tu es sûre de te perdre (20 octobre > 24 octobre 2020) de Diana León, une proposition chorégraphique qui est le fruit de trois collaborations successives avec les artistes Paco Ziel, Jeremy Galdeano et Vera Kvarcakova. Une puissante évocation du plaisir de trouver son propre rythme.

La chorégraphe et interprète chevronnée Heather Mah revisite la vie de sa grand-mère dans Pomegranate (17 novembre > 21 novembre 2020). Cette performance solo constitue une épopée fragmentée à travers des récits familiaux et migratoires débutant en Chine en 1895.

Imago Theatre donne à écouter à une série de trois courtes pièces radiophoniques inédites commandées à des autrices dramatiques à travers le Canada. Tuning In (27 janvier > 30 janvier 2021) invite un «radio-public», présent dans le théâtre, à se pencher sur les questions de soin, de peur et de déni. Le public peut aussi décider d’écouter la création chez elles-ils-iels, dans le confort de leur domicile.

Signé par FakeKnot, Whip (9 février > 13 février 2021) est un duo de 60 minutes interprété entièrement en cagoules de cuir. Les interprètes y sont donc aveuglé-e-s tout au long de la performance. Une référence à la culture axée sur le consentement propre à la communauté BDSM.

Porté par la poète de spoken word Hoda Adra, le ciné-concert performatif Les formes qui nous traversent (23 février > 27 février 2021) ressuscite une trentaine de carnets de bord écrits durant un long enfermement. L’écriture vécue comme pouvoir de rapatriement de soi, partagée comme acte de résistance dans cette pièce qui compte un pays imaginaire, des boules roses qui étouffent les voix et un fantôme écrivain.

Gabriel est compositeur de musique et vocaliste expérimental. Bijuriya est une artiste de drag. Gabriel et Bijuriya sont une seule et même personne. Il est temps de les réunir sur scène dans Bijuriya (16 mars > 20 mars 2021). Une pièce célébrant la brunitude (brownness) de l’artiste-double Gabriel Dharmoo.

Tout à la fois performance musicale, vidéo multimédia et installation environnementale, American Cuck (9 avril > 10 avril 2021) du musicien et artiste interdisciplinaire M. Lamar ausculte la suprématie blanche dans la psyché des États-Unis. Pour Lamar, la construction de la personne noire hypersexualisée dans l’imaginaire national continue à mener à la Mort noire.

L’artiste de claquettes Travis Knights, dont le travail a été récemment récompensé par le prix Jacqueline-Lemieux du Conseil des arts du Canada, signe et interprète Ephemeral Artifacts (13 avril > 17 avril 2021). Iel y visite l’histoire du jazz et des claquettes ainsi que les liens entre ces genres ancrés dans les corporéités et les histoires noires. Une signature chorégraphique magnétique, à la fois intime et texturée, marquée par la résistance.

Composée et interprétée par la chanteuse et compositrice Cyndi Charlemagne, Soul Whisper (23 avril > 24 avril 2021) est une performance soul jazz qui mêle poésie et chant. Oscillant entre complexité et sonorités épurées, la musique de Charlemagne convoque riffs musicaux, agilité vocale et improvisation. Un jeu vocal chargé de sincérité, soutenu par des musiciens-iennes chevronné-e-s.

Rencontre interdisciplinaire entre deux amies de longue date, STRIKE/THRU (1er juin > 5 juin 2021) réunit l’artiste visuelle d’origine algonquine Nadia Myreet et l’artiste de théâtre Johanna Nutter dans une exploration des frictions et malaises liés au fait d’être Autochtone ou non-Autochtone. À travers cette pièce incisive, poétique et participative, les constructions identitaires sont chamboulées.

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