Ethnologue et traductrice, Ananda Devi couronnée par le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature française en 2014 est l’auteure de Le Sari vert (2009), L’ambassadeur triste (2015), Fardo (2020). Ses écrits s’échelonnent de 1997 à 2021.

L’histoire de Le rire des déesses[1] se déroule dans la Ruelle, un quartier d’une ville pauvre de l’Inde où travaillent les prostitués. Veena et sa fille Chinti s’y trouvent. Délaissée par sa mère et protégée par Sadhana, une hijra, femme rejetée par la société pour être née dans un corps d’homme. La parution de Shivnath a fait tout basculer. Prétendant être le messager de Dieu, il exerce son pouvoir. C’est Chinti qui est prise en otage. Il la kidnappe et l’emmène à Bénarès pour en faire sa déesse. Il ne se doute nullement de l’organisation des femmes qui le poursuivent. Ce sont des vraies guerrières qui refusent de se laisser faire.

Dans cette société où l’homme a tous les pouvoirs, les femmes se battent corps et âmes pour se faire entendre. C’est la présence de Shivnath qui a permis de tout remettre en question. Ce que souligne l’auteure : « Les êtres comme Shivnath sont des œufs qui ne se révèlent pourris que lorsqu’on en brise la coquille. À l’extérieur, ils semblent sains. Ils ont la couleur sablée, noisette ou très blanche des beaux œufs de poule, parfois tachetés par quelque pigmentation fortuite. Mais si on brise l’œuf parfait d’un seul petit choc sur le côté, voilà que l’odeur d’acide sulfurique s’élève et une bave verdâtre s’écoule » (p. 140). Lui qui prétend être le messager de Dieu use et abuse de tous les pouvoirs. Ne tenant compte d’aucune sensibilité, il a pris Chinti, sans l’accord de qui que ce soit, pour en faire une esclave maquillée en déesse. Il oublie toutefois que lorsque les femmes se mobilisent elles deviennent une force inébranlable.

Ananda Devi se sert de la prostitution et de la religion pour dénoncer la mauvaise foi d’un homme qui est vénéré et dont personne ne soupçonne ce qui se cache derrière son sourire narquois. Attiré par la petite Chinti, il balade ses mains pour assouvir ses besoins sexuels. Rien ne le fait reculer. Son comportement bestiale montre le paradoxe qui existe entre le latent et l’apparent.

En prenant La Ruelle comme point d’ancrage, Ananda Devi dénonce la pédophilie, la religion et les colères qui sont souvent ressenties par les femmes. Elles témoignent d’un mal de vivre. Démunies, elles se prostituent pour subvenir à leurs besoins les plus précaires. Cette réalité, déjà développée dans La tresse (2017) et Le cerf-volant (2021) de Laetitia Colombani montre que des bas-fonds de l’Inde peuvent être extirpés des scénarios aussi riches que variés.

Le rire des déesses est un terrain dans lequel la religion et la prostitution se côtoient. Elles s’affirment à travers différents personnages et prouvent que l’instinct maternel est la plus forte des lois.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Ananda Devi, Le rire des déesses, Ed/Grasset, 2021, 235 pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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