Myassa Messaoudi est traductrice, activiste féministe et auteure de plusieurs articles politiques romancés. C’est mon choix disent les femmes soumises, roman paru en 2019 aux éditions Koukou parcourt la société algérienne en dévoilant avec courage tout ce qui semble échapper aux regards. Découvrons les réponses de cette auteure qui n’hésite aucunement à dire ce qui a longtemps été tu.

L’initiative : Le titre de votre roman C’est mon choix, disent les femmes soumises suggère un ensemble de pseudo-choix que vit la femme algérienne. Quelle a été votre intention de donner ce titre ?

Myassa Messaoudi : L’intention de ce titre est de déconstruire l’aliénation qui consiste à croire qu’on a le choix dans un pays qui, par la force de la loi, vous minore et vous prive de vos droits les plus élémentaires en tant que femme et citoyenne. L’exemple du code de la famille algérienne et de tous les statuts personnels qui sévissent dans le monde arabo-musulman illustrent cette contradiction.

L’idée c’est de démontrer que lorsqu’il s’agit des femmes, des interprétations religieuses soigneusement sélectionnées dans le répertoire de l’archaïsme et de l’extrémisme sont mises en pratique. En cas d’héritage, toute honte bue, on prive les femmes de leurs droits à une chance économique équivalente à celle de leurs frères sous prétexte que c’est dans le coran. Et en cas de divorce, elle est délestée de toute prétention au partage des biens combien même elle y aurait contribuée pendant des années. On lui accorde une garde des enfants conditionnelle puisque elle est susceptible de la perdre en cas de remariage. Les violences qui lui sont faites sont tolérées, par la magie d’une clause du pardon prévue par la loi, qui épargne son bourreau de toutes poursuites judiciaires.

C’est là quelques exemples juridiques et religieux qui réduisent la femme à un état de soumission déplorable, mais si vous y ajoutez les coutumes et les traditions qui la préparent dès l’enfance à non seulement accepter sa soumission, mais à la faire sienne, prétendre avoir le choix devient un doux égarement.

En fait, dans mon livre j’ai surtout tenté un effort de conscientisation à la condition des femmes algériennes, mais à travers une trame de fiction littéraire. C’est une femme, Ines, qui revient dans son pays d’origine après des années d’exil. Munie d’autres expériences et schémas d’existences, elle pose un regard sans concession sur le traitement réservé aux femmes dans la cellule familiale. Elle note que non seulement ce traitement déplorable continue, mais qu’il a empiré suite à la tragique décennie noire qui les a ciblées. Les islamistes ne leurs avaient rien épargnées. Mères, épouses, fillettes, étudiantes, elles ont été massacrées, ou au mieux réduites à l’état d’esclaves domestiques et sexuelles.

Un sujet récurrent est traité dans votre roman, l’amour manqué. Est-ce que vous pouvez donner plus de détails ?

L’amour, c’est-à-dire les relations intimes, personnelles, renvoient aux fondements des libertés individuelles. La première cellule de la nation c’est la famille. La première des libertés est de choisir la personne avec laquelle vous allez passer le reste de votre vie ou pas. Il est donc nécessaire de lui apporter tout l’éclairage qu’il convient. Or en Algérie, les femmes sont dépossédées de leur corps par le patriarcat qui les réduit à de simple génitrices. La sexualité est incriminée, ce qui pousse certains à précipiter une union juste pour accéder physiquement à l’autre. De plus, payer des dotes faramineuses donne le sentiment qu’on a acheté l’autre. Tout est faussé parce qu’on ne laisse pas les jeunes disposer de leurs vies, de leurs goûts, et de leurs choix de genre en toutes libertés. Le séparatisme sexuel crée une multitude de périls et de pathologies sociales. La rue devient un lieu de toutes les prédations, et les femmes y sont harcelées, agressées. Idem, pour les lieux de travail, et même au sein de leurs familles. Pour une union saine et harmonieuse, il faut un Etat égalitaire. Alors que dans les faits, les familles algériennes sont plus à l’image du système qu’ils dénoncent. C’est du mimétisme tyrannique qu’il faut sortir.

Pensez-vous que la religion est un frein qui empêche d’aller vers la modernité ?

La spiritualité est l’essence de la religion. Et pour qu’elle soit possible et sauvegardée, il faut l’éloigner de la politique. L’instrumentalisation des religions à des fins de pouvoir conduisent aux désastres qu’on connait déjà. La religion doit s’adapter à son temps, et aider l’homme à s’épanouir dans son époque. Elle ne doit pas le mettre au ban du progrès et en hostilité avec le reste de l’humanité ; Ce n’est pas sa mission.

Ce qui est remarquable dans votre récit, c’est le courage à dénoncer tout ce qui se passe dans la société algérienne. Avez-vous eu des retours quant à la publication de votre roman en Algérie ?

Oui bien sûr, et ils sont très encourageants. Les gens sont un peu choqués parce qu’ils ne sont pas habitués à ce qu’on leur parle crûment de leur condition, mais dans l’ensemble, ils apprécient. De toute façon, il faut tendre le miroir à la société pour qu’elle puisse se corriger. Briser le silence des tabous. Je pense que les gens en ont assez qu’on les infantilise.

Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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