Après avoir publié l’œil du paon (2019), Lila Hassaine vient de publier Le soleil amer[1]. C’est entre la France et l’Algérie que les mailles sont montées dans des aiguilles qui vacillent entre solidité et fragilité.

Dans les années cinquante, au cœur des Aurès, en Algérie vit Naja avec ses trois filles : Nour, Maryam et Sonia. Parti en France travailler dans une usine d’automobiles, Said est rejoint par son épouse et ses trois filles. La famille s’habitue tant bien que mal aux différences entre les deux pays. Le soleil qui réchauffait les cœurs n’est plus qu’un lointain souvenir. Kader, frère de Said marié à Eve n’a pas d’enfants. Ayant déjà perdu un garçon, Naja tombe enceinte pour la cinquième fois. C’est sur cette situation que les deux frères se mettent d’accord. Le nouveau-né leur sera donné. À la grande surprise, Naja a donné naissance à des jumeaux, Amir et Daniel. Ce dernier est adopté par son oncle Kader. Seulement ce geste est resté secret. Le rapprochement des deux frères, devenus des cousins aux yeux des autres soutient les liens parfois tendus et parfois affectueux entre les deux pays, La France et l’Algérie. La séparation de Daniel et de Amir fait ressurgir les différences dans les modes de vie. Si les difficultés sont innombrables quant aux moyens pour Amir, Daniel vit dans l’opulence. Malgré le manque de moyens, Amir œuvre pour devenir médecin. Les deux frères-cousins, se voient dès que l’occasion se présente. Après le décès de Said, la famille lit le testament qu’il a laissé. Un grand étonnement envahit le lecteur à la lecture de cette recommandation.

En prenant comme appui les propos d’Artur Rimbaud, tirés de Le bateau ivre : « Les Aubes sont navrantes, toute lune est atroce et tout soleil amer », Lilia Hassaine raconte le tiraillement entre deux familles, deux villes, deux pays. Dans l’esprit du secret qui accompagne le récit, Eve qu’on croyait ne pas être en mesure d’avoir des enfants avait déjà une vie avant de rencontrer Kader. Le silence régnant autour de cette vie antérieure a laissé la douleur creuser ses sillons pour devenir une blessure béante. Cette mère adoptive de Daniel souffrait sans que personne ne se rende compte de ce qu’elle pouvait ressentir. Il en est de même pour Naja qui subissait les agissements de son mari, comme celui de marier sa fille Maryam contre son gré.

Naja qui a quitté son beau soleil n’est pas libre. Ce n’est pas elle qui décide de ce qu’elle doit faire ou de ce qu’elle ne doit pas faire. Elle est sous le joug de son époux. Ajouté à cette soumission, elle vit avec la perte de son fils. Une déchirure qui ouvre la voie sur des questionnements tels que : Serons-nous forcément plus heureux quand on quitte notre pays ?

Soleil amer de Lilia Hassaine chatouille la conscience en lui faisant rappeler qu’ailleurs n’est pas synonyme de meilleur.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Lilia Hassaine, Soleil amer, Ed/Gallimard, 2021, 158 Pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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