Bien des choses façonnent l’imaginaire des Américains, dont les légendes, au point de faire partie inhérente de leur histoire. Ces dernières sont élevées au rang de sacrosaintes icônes dont s’inspire la culture populaire et le cinéma au point où « Quand La Légende devient réalité, on imprime la légende ». C’est par ces mots que Fabien Nury au Scénario et Brüno au Dessin donnent le ton de leur dernier album « L’homme qui tua Chris Kyle[1] ».
Édité chez Dargaud « L’homme qui tua Chris Kyle » s’inscrit dans le genre de bande dessinée documentaire à travers un style singulier qui s’inspire de séquences télévisées, de rapports de procès et des images d’archives.
Pour comprendre le récit de cette œuvre, il est important d’avoir une idée de la vie de Chris Kyle. Né en 1974 à Odessa Texas aux États-Unis, Chris Kyle est un vétéran de la guerre d’Irak entre 2003 et 2008. À son retour de la guerre Chris a souffert du syndrome post traumatique de la guerre (PTSD). Il avait fait ses preuves sur le terrain en étant le recordman du nombre de personnes tuées avec un total de 255 dont 160 confirmées. Le triste tableau de chasse de ce sniper qui lui a valu cinq Bronze Star et deux Silver Star, ont fait de lui une légende à son retour aux États-Unis.
Avec une autobiographie qu’il publiera en 2012, il témoignera de son expérience et de son vécu, même si d’aucuns s’accordent à dire que pour des raisons éditoriales, certains passages du livre ont été romancés pour encenser sa légende. Une légende, Chris Kyle en est devenu une, de son vivant en se relevant du traumatisme de la guerre et en fondant Craft international, une entreprise qui offrait des services et son expertise en matière de sécurité.
Son temps libre, l’ancien Navy Seal, le consacrait à aider les vétérans de la guerre pour retrouver le goût de vivre en les invitant à mitrailler sur des cibles à Rough Creek Lodge. Cet engagement pour ses semblables a inspiré les producteurs de Hollywood pour adapter sa biographie au cinéma. Tout souriait pour Chris Kyle. Il avait sa petite famille et il se préparerait à voir sa vie sur grands-écrans.
Seulement voilà, au matin du 2 février 2013, lui et son ami Chad Littlefield ont voulu venir en aide à Eddie Ray Routh, un ancien Marine de 25 ans qui souffrait de troubles de stress post-traumatique. À leur arrivée au stand de tir de Rough Creek Lodge, Eddie a tué de sang-froid les deux hommes au lieu de s’entraîner au tir.
Pour revenir sur les événements, Brüno et Fabien Nury ont mis en scène, un récit qui reprend le cours des événements pour illustrer cette bande dessinée qui se divise en sept chapitres : The legend, Ponyboy, Rough Creek Lodge, American widow, Hollywood, In God we trust. Empreins d’une grande culture cinématographique, les auteurs ont choisi de commencer chaque chapitre par une réplique célèbre des films de Clint Eastwood, qui rappelons-le a finalement réalisé American Sniper en 2014 et qui a cartonné par la suite au box-office américain.
Dans ce projet d’envergure le bédéiste Brüno, qui a déjà publié « Vintage and Badass », les séries «Tyler Cross » et « Commando colonia » livre un remarquable travail graphique, tandis que Fabien Nury que l’on connait pour être un scénariste prolifique pour avoir écrit « La mort de Staline » ou encore « Charlotte impératrice » en 2020, publie avec « L’homme qui tua Chris Kyle » un polar qui s’interroge sur « la notion d’héroïsme dans une société américaine plus schizophrène que jamais ». Dans ce récit, les auteurs ont choisi le style narratif pour revenir sur la vie de Chris Kyle de la période post-Irak jusqu’à son assassinat.
Étant donné que l’ouvrage s’intitule « L’homme qui tua Chris Kyle », il s’agissait avant tout de souligner la mémoire du défunt sans pour autant évacuer la personne de son assassin. La BD, qui illustre les circonstances du meurtre et du procès, permet au lecteur de comprendre la lâcheté de l’acte et la personnalité tourmentée d’Eddie Ray Routh. L’œuvre qui s’étend sur 164 pages est aussi un outil documentaire de grande qualité, qui s’appuie sur un travail de recherche assez pointu au vue des références qui sont inscrites un peu partout dans le livre.
Ainsi donc la BD a rejoint le cinéma qui a rejoint la légende de Chris Kyle. L’œuvre est déjà disponible au Québec et en ligne chez Dargaud qui a aussi publié une édition Collector de 180 pages en Noir et blanc.
Réda Benkoula
[1] L’homme qui tua Chris Kyle : une légende américaine | Par Fabien Nury & Brüno | Dargaud | 2020 | 164 pages