Sans doute, le public venu voir le long métrage documentaire de Cécile Allegra, au Festival international de cinéma Vues d’Afrique de Montréal, était bouleversé par les récits effroyables des victimes de la mécanique du viol en Libye. Après la chute de Kadhafi, le pays a sombré dans le chaos charriant toutes les atrocités : vengeances, exécutions, rapts, emprisonnent, tortures et viols. Jusqu’ici totalement occulté, le documentaire de Cécile Allegra a révélé au monde l’ampleur et la cruauté du viol de guerre dans le bourbier libyen. Une pratique répandue, systémique et érigée en arme de destruction massive qui touche, désormais, les hommes.
Pour mettre la lumière sur ces viols massifs, récurrents et organisés, la réalisatrice est allée d’abord à Tunis, et ensuite à Tripoli pour interroger et filmer deux exilés libyens, Imad, un activiste, et Ramadan, un ex-procureur dans leur travail d’investigation mené dans la peur et la clandestinité. Encadrés et épaulés par Céline Bardet, juriste internationale et spécialistes des questions des crimes de guerre, ces deux enquêteurs infatigables partent à la quête de moindre morceau qui constitue le puzzle d’un crime abject, frappé de l’indicible où la parole est difficile à libérer pour raconter l’humiliation dans tous ses états!
Comment confesser l’indicible pour Yacine, Nazir, Ahmed ou encore Ali, réfugié à Tunis, victimes de cette barbarie quand sa dignité est saccagée et les supplices subies ont atteint le summum sur l’échelle de l’horreur ? Face aux enquêteurs et filmés dans un plan qui garde leur anonymat, ces victimes nous livrent péniblement des bribes de leur géhenne dans les geôles libyens à Misrata ou à Tawarga, où les bourreaux excellent dans la torture et l’humiliation! Ces témoignages sont livrés à l’état brut, avec la voix originale des victimes et un sous-titrage en français, ce qui laisse intact la force des faits relatés, portée par les émotions et les sentiments modulés par la voix. Les récits recueillis sont poignants et montrent l’extrême violence avec laquelle la dignité et l’intimité humaines sont détruites. Ces récits sont appuyés par des vidéos cruelles tournés sur les lieux de torture montrant l’ampleur de la barbarie !
Pour la juriste internationale Céline Bardet, tout détail est important pour reconstituer le puzzle de ce crime systémique et organisé, et constituer une matière juridique crédible pour ester les tortionnaires et leurs donneurs d’ordre devant la Cour pénale internationale.
Le film documentaire de Cécile Allegra est une investigation laborieuse et bouleversante qui a le mérite de libérer la parole sur un crime de guerre qui montre encore une fois que les horreurs les plus ignobles sont l’œuvre de l’être humain quand il perd son humanité ! Un acte vital et courageux sur le chemin de la vérité qui sème l’espoir de poursuivre le viol de guerre devant les tribunaux ad hoc et d’éradiquer sa mécanique destructrice!
Sofiane Idir