Bien avant la sortie de New York cannibals en 2020, François Boucq et Jerome Charyn, ont signé en 2014 avec Little Tulip[1] une bande dessinée puissante et à la fois dérangeante qu’il faut situer. Retour sur cette œuvre majeure des deux auteurs.

Nous sommes en 1970. Des crimes sordides terrorisent la ville de New York. Des femmes sont violées et égorgées par dit-on, un certain Bad-Santa comme l’a surnommé la police à cause du bonnet de Père Noël que ce criminel laisse derrière lui sur chaque scène de crime. Paul, qui a le don de très bien dessiner, travaille occasionnellement avec la police pour dessiner les portraits des suspects sur les bases des descriptions des témoins. Seulement voilà, il n’arrive pas à esquisser le moindre portrait de Bad-Santa.

Des souvenirs remontent en surface. Il a émigré à l’âge de 6 ans avec ses parents vers la Russie pour rejoindre les Soviets dans la grande guerre patriotique. C’était en 1947. Ses parents ont été injustement condamnés pour espionnage et toute la famille a été transférée dans un camp au Goulag. Le jeune Paul a été séparé de ses parents et il a dû apprendre à survivre dans le camp de Kolyma au milieu des bandes rivales, des Pakhany et des femmes cannibales. Paul que l’on prononce Pavel en russe a grandi dans un univers de violence au Goulag. Il a développé au fil du temps sa maîtrise du dessin et du tatouage dans un environnement si hostile que chaque action était considérée comme une affaire de vie ou de mort. On l’on surnomma Little Tulip.

Ce sombre passé, Paul tente de l’oublier, même si les tatouages qui ornent son corps en sont le témoignage. Il travaille dans une échoppe en tant que tatoueur et sa vie est animée par la jeune Azami et sa mère qui donnent un sens à sa vie, même si l’ombre de passé rôde toujours.

Si Little Tulip est assurément bien dessinée, les thèmes qu’elle aborde dérangent à plusieurs égards compte tenu du niveau de violence qui est illustré notamment dans les camps du Goulag. Elle témoigne de la cruauté subie en camp d’internement et propulse les lecteurs dans le passé tout en prenant soin d’ancrer des personnages dans leur époque.

La BD qui s’adresse à un public de 12 ans et plus, a été écrite par Jerome Charyn, auteur New-yorkais, né en 1937 et à qui l’on doit une cinquantaine d’œuvres (romans, nouvelles, bandes dessinées en collaboration, essais et textes biographiques, ouvrages sur la culture américaine, ouvrages sur New York…). Le scénariste s’inspire de la ville qui l’a vu grandir pour partager avec les lecteurs son regard sur le rêve américain et tous les individus qui peuplent l’Amérique à l’image des policiers, des politiciens et des immigrés tels que Paul qui semble appartenir à la ville sans jamais y être à sa place.

Côté graphisme, le talent de François Boucq n’est plus à démontrer, lui qui a signé à travers ses illustrations des œuvres ô combien réalistes telles que Trump en 100 tweets, Portrait de la France et plusieurs séries dont Les Aventures de Jérôme Moucherot, Bouncer, Face de Lune ou encore Le janitor.

On signalera qu’en plus de Little Tulip et New York cannibals le duo Boucq/Charyn a aussi cosigné chez le même éditeur La Femme du magicien et Bouche du diable.

Réda Benkoula

[1] Little Tulip | Jerome Charyn, François Boucq | Éditeur : Le Lombard, Collection : Signé | 2014 | 88 pages

Boucq/Charyn aux éditions Le Lombard : New York cannibals, Bouche du diable, La Femme du magicien

 

 

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