Madagascar produit généralement une intense impression d’étrangeté. Plus qu’un voyage, une véritable expérience humaine, un envoûtement, une manière de vivre, de faire la fête avec la bière et une manière de mourir (deux enterrements espacés, avec Le retournement des morts en sus).
Déguster une série de brochettes de zébus face à un immense Baobab et voir voltiger les lémuriens sans y perdre le sens d’orientation, ni le goût de la joie de vivre n’est-il pas une délectation de nantis ?
De ce Musée naturel, régal pour la naturalistes, paradis touristique où la chaleur et les cocotiers sont bien là. Les paysages sont autant des cartes postales avec des noms qui s’étirent à couper le souffle, et pour l’exercice : Président actuel : Rajaonariarimampianina, celui d’un ancien roi) : Andrianamoiniméria. Les Malgaches demeurent assez chatouilleux sur la prononciation des noms, une forme de civilité et de respect qu’il faudrait s’y conformer dans les protocoles.
La grande île rouge
De l’Afrique, dont elle s’est séparée il y a 165 millions d’années, elle a gardé la terre rouge. De l’Asie, d’où elle est venue une large part de la population, elle a hérité les rizières, et fructifier les apports nouveaux en agriculture et en animaux domestiques. Madagascar n’est pourtant ni réellement asiatique, ni totalement africaine, sa culture originale en fait la seule terre «afro-asiatique» de la planète. Quatrième du monde par sa superficie (587.000 km2), légèrement plus grande que La France, la Grande île est un monde à part.
Dix-huit populations ou ethnies se partagent ce territoire de forêts tropicales, de déserts d’épines, de plages de sable blanc, de latérite, de lagons, de Tsingy (cathédrales de calcaire). D’une pointe d’humour le Général De Gaule s’est ajouté une dix-neuvième tranche qu’était les Français d’occupation. Cette mosaïque ethnique s’est forgée au fil des siècles, un système de valeurs authentiquement : malagasy
Madagascar est une véritable arche de Noé abritant un nombre d’espèces à faire pâlir d’envie le naturaliste le plus blasé. On y croise des orpailleurs, des missionnaires, des chercheurs de saphirs, des passionnés de tous poils…On y finit ses journées heureux mais couvert de poussière, on n’y trouve pas toujours l’hôtel dont on a rêvé, ni les services que l’on aurait souhaités, aller d’un point A à un point B équivaut parfois à résoudre une équation à plusieurs inconnues… Mais au pays du mora-mora (doucement-doucement), l’équivalent du Magnana magnana sud-américain, s’accumule dans l’escarcelle des bons souvenirs. C’est la destination idéale de ceux qui sont prêts à sacrifier un peu de confort (hôtels fatigués) (boui-boui de brochettes de Zébu), taxi de brousse aux ressorts cassés, et le tout baroudeur digne de ce nom défiant les mandragores et la route des îles parfumés. Le goudron, un véritable luxe, laisse la place à la piste poussiéreuse mais aux vues surprenantes. Le lémurien, cet ancêtre du singe vous distrait tout au long de la forêt tropicale. Des baobabs majestueux (14 mètres de tours) forcent l’attrait du regard et constituent la curiosité du coin où les cliquetis des «Smartphones» ou les «selfies» se rivalisent pour les images «m’as-tu vu» évocatrices à tous moments entre amis. De «la terre des ancêtres» jaillit cette humeur bon enfant d’un fatalisme qui imite et louvoie notre «mektoub». C’est vrai qu’une certaine culture islamique importée des îles Comores et des côtes zanzibariennes déteigne sur la région de Majunga. L’île Continent interroge sans cesse. Chaque jour on y trouve matière à réflexion sur le rituel d’enterrement à deux reprises, sur les divers tabous, celle des jumeaux indésirables en particulier, sur le châle blanc de toutes les femmes des «Imerina» tribu dominante, le masque de beauté contre le soleil dont sont induits les visages surtout à l’île star de Noisy Be. Une île au sable blanc où le touriste se gargarise d’exotisme (fruits et boissons d’élixir). Les baleines à bosses au loin, clignotent dans l’océan Indien, par des plongeons remarquables. Les boutres, ces chalands à voiles spécifiques des anciens marins des Comores sillonnent le canal du Mozambique malgré ses 400 kilomètres de large. Autrefois, il y a 1500 à 2000 ans, la navigation hauturière a ramené d’Indonésie ses premiers habitants. Ils en sont présentement un mélange harmonieux de 24,2 millions d’une «unité plurielle» (dont 33% âgés de 10 à 24 ans).
Antananarivo
Au centre la capitale d’Antananarivo, Tana pour les intimes, se déversent quatre axes principaux des points cardinaux. La RN6, route goudronnée se dirige à 1200 km vers Diégo-Suarez (Antsiranana), la RN4 (600kms) vers Majunga (Mahajanga), la RN7 (900Kms) vers le sud sur Fort Dauphin (Taolagnaro), (piste poussiéreuse, infecte et plein d’épines d’un désert qui ne veut dire son nom), un paradis pour les 4/4 et enfin la RN5 qui s’étiole vers la côte de la vanille foisonnant de parcs nationaux où niche l’île Sainte marie (un autre site touristique en plein développement).
Le centre de la ville
Entourée de six collines sacrées, la ville niche au bas de la vallée, tout en grignotant sur les hauteurs. Le quartier s’articule autour de l’avenue de l’Indépendance, épicentre de la ville qui commence à la gare ferroviaire de Soarano et se termine à l’hôtel Glacier. Pour accéder à la ville haute, immanquablement, il faudrait couper par les escaliers d’Analakaley (160 marches). Tous les Vazana (étrangers) l’empruntent. Tout au long, à chaque marche, un étal vous offre une variété de marchandise avec une majorité de Tampons-encreurs que vous pourrez faire réaliser à la demande. Cahin-caha, vous avaler cette volée de marche tout en maintenant le souffle et luttant contre les harcèlements des étalagistes. Et Dieu sait s’ils ne sont pas doués car si jamais, vous y prêter attention ou proposer un prix si bas soit-il, vous êtes pris, suivi, harcelé, essoré, fatigué, et énervé ou bien acquéreur malgré soi.
Aux pieds des escaliers, les pavillons (vestiges du Zoma, l’immense marché à ciel ouvert qui se tenait jusqu’en 1997 le long de l’avenue, et dont le cinquième jour de la semaine (vendredi djoumoua se dit «Zoma» en malgache) était le point d’orgue, instauré sous le règne du roi. Les boutiques serrées, la gaudriole dans l’air, les gens gesticulent, se lancent des balivernes, la volonté de se dé coltiner de la pauvreté se manifeste ainsi. Une cogitation à hue et à dia ! Les pickpockets bien organisés, notamment des enfants avec un chapeau rôdent comme des vautours pour s’abattre sur le nouveau touriste visible à sa casquette immaculée et sa caméra en bandoulière. Les déconvenues du voyage s’ajoutent à la «tourista», aux arnaques du change mirobolant. On cherche une terrasse pour se souler de nouveaux paysages et se décanter des fortes émotions.
En plein centre on est frappé par une auguste architecture représentant la gare centrale. La gare de Soarano, classée patrimoine national, abrite un café luxueux et un restaurant prestigieux, des guichets, un quai désert qui lui manque…des passagers. Aucun service ferroviaire n’opère en effet depuis la capitale. Tribut colonial.
Un outil de conservation durable : le tourisme par les malgaches, défi à la pauvreté
Une association malgache créée en 1997 avec l’objectif de gérer de nouvelles aires protégées a lancé le défi pour un aménagement du territoire et d’en faire un levier de développement. « Il est temps de sortir du discours sur la pauvreté, l’assistance et d’essayer de comprendre la richesse des villages. Changer des pratiques ancestrales et faire sortir les populations de la pauvreté, gérer l’environnement à long terme, introduire cette notion de long terme est l’un de nos défis. Anjozorobe, un village à 85 kms de la capitale est bâti sur un terrain des villageois par l’association Fanamby, employant les locaux et leur faire prendre conscience que la pauvreté n’est pas une fatalité et que si l’état est défaillant, la population doit réagir et se prendre en charge. Pour la communication nous avons une station de radio qui diffuse la vie du village. Cette radio rurale nous sert à nous sortir de l’autarcie et à créer des échanges, ce qui est fondamental. » Déclare Serge Rajaobelina, secrétaire exécutif de Fanamby.
Il manque certainement un Ecomusée qui relatera l’historique de la région, dont la boutique écoulera les produits artisanaux. Créer un partenariat avec les artisans d’Antsirabe, qui élargira la besace économique. Un projet à y accrocher à l’espérance. La volonté des villageois existe, mais quel élément déclencheur y mettra-t-il le feu aux poudres ? C’est le propre des pays pauvres : l’espérance.
Réda Brixi
Anthropologue, voyageur