En première mondiale au Festival de Cannes 2021 dans la catégorie « Cinéma pour le climat », le film documentaire de Aïssa Maïga, Marcher sur l’eau, est projeté pour le public canadien dans le cadre de la 27ème édition du Festival de Films Francophones de Montréal.

La corvée d’eau avant l’école

Le long métrage de la réalisatrice sénégalo-malienne nous fait atterrir sur une géographie aride, désolée et extrêmement austère. On est à Tatiste, au Nord du Niger, un village de nomades dont les objets de la modernité se résument à un taudis, qui fait office d’école, et des jerricanes en plastiques. Dans ce patelin autarcique, la population végète dans une extrême pauvreté où le profond dénuement matériel renvoie à l’ère primitive! Ce cadre désastreux n’est pas encore complet, car les habitants du village sont contraints à la corvée d’eau. Ici l’eau est une denrée très rare et on saisit parfaitement sa valeur. Chaque goutte d’eau est précieuse et évoque dans l’esprit l’adage : « L’eau, c’est la vie ». L’eau, ce précieux liquide est à chercher à quelques lieues du village en le puisant au fond d’un puits à la force de traction de l’âne et moyennant un effort harassant. C’est tout le monde qui participe à cette pénible besogne, même les enfants pour qui cette accablante corvée passe, hélas, avant l’école! Arrivés épuisés à leur salle de classe, sans doute la plus indigente au monde, ces mômes se donnent à cœur joie à l’instruction qui demeure l’unique contact avec le reste du monde.

Un documentaire engagé sur l’environnement

L’œuvre de Aïssa Maïga s’inscrit dans le registre du documentaire engagé, qui aborde la thématique de l’environnement et dénonce les effets néfastes du réchauffement climatique. En effet, cette région à la lisière du Sahara subit les effets collatéraux d’un monde industriel royalement pollueur en quête d’une croissance démesurée et effrénée! Dans un contexte de saturation en gaz à effet de serre, l’accroissement de la température et le manque d’eau dans les plantes et les sols provoquent des sécheresses dans les quatre coins de la planète. Comme le montrent les images stupéfiantes de ce documentaire, saisissant l’état de la nature au fil des saisons, la région peut retrouver sa verdure et son équilibre malmené (eau, végétation, agriculture, pâturage, élevage, sédentarisation et meilleure qualité de vie) quand les pluies abondent et assouvissent le sol, la faune, la flore et l’homme! D’ailleurs, pour ces nomades en détresse et accablés par la soif, il reste que la prière pour implorer le ciel et espérer une averse! En effet, le côté spirituel de ces villageois est une vertu qui aide à prendre sa détresse en patience et se cramponner à la vie !

Un film en immersion et la force d’émouvoir

La cinéaste Aïssa Maïga a préféré donner la parole aux habitants de Tatiste que d’utiliser le commentaire en voix-off qui serait une redondance de ce que les images projettent. Cette approche en immersion donne à voir la réalité telle qu’elle est, intacte, sans altération aucune. La caméra de la cinéaste nous a resitué le quotidien des habitants de Tatiste avec un raffinement sur les détails intéressant, qui frappe l’esprit et interpelle les consciences !

Cette scène de larmes d’un môme affamé et brulé de soif émeut la chair, le cœur voire les pierres, et nous force à réfléchir sur la condition humaine, notamment le fossé abyssal et indécent qui sépare un monde sombré dans la débauche de luxe et de superflu et un monde espérant seulement à s’affranchir de la corvée d’eau et d’une faim tortionnaire. Et ce papa lavant son bambin avec un minimum d’eau, une scène qui arrache toutes les sympathies du monde et donne une leçon à toute l’humanité sur la rationalisation de l’eau et la gestion des ressources rares. En effet, ce documentaire fourmille de scènes qui donnent à voir une population résiliente, courageuse et qui a cette capacité ingénieuse de s’accommoder aux conditions de vie des plus pénibles. Mais il serait insultant de dire que cette population se résigne à la misère puisqu’elle marche sur une nappe d’eau dont l’accès (construction d’un forage nécessite des moyens faisant défaut) la délivre de la soif et améliore son sort !

Le tournage se focalise sur la jeune Houlaye, une adolescente qui endosse non seulement cette corvée d’eau mais également la responsabilité de veiller sur ses frères et sœurs lors de l’absence de sa maman contrainte de quitter ses pénates pour dénicher un travail ailleurs. Il s’agit ici de montrer le rôle de la femme dans une société matriarcale où elle occupe une place centrale.

Par ailleurs, le film établit un rapport intéressant avec la nature et nous offre un bouquet d’images époustouflantes sur un écosystème qui meut au gré de la volonté du ciel ! Ce cadre inspirant est agrémenté par une musique propice à la méditation, inspirée de la nature et signé par la talentueuse cheffe d’orchestre et compositrice Uèle Lamore.

Un film qui interpelle l’humanité

Le long métrage de Aïssa Maïga est un film anthropologique lucide, qui a cette faculté d’émouvoir et d’éveiller le sensible engourdi en nous. Il laisse transparaitre une cinéaste engagée, fine observatrice et sensible à l’égard d’une population croupie dans une cruelle indigence. Il soulève des questions sur plusieurs thématiques (réchauffement climatique, éducation, gestion de ressources, condition féminine, pauvreté…) et interpelle surtout l’humanité sur le superflu de la modernité.

Sofiane Idir

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