Au cimetière de Dollard des Ormeaux, début de l’immigration musulmane, l’enterrement côtoyait les chrétiens. Il y a eu une certaine bouderie, vient celui de Laval pour sauver la mise et l’option de la séparation l’emporta. Vivre ensemble cela parait évident mais à chacun son enterrement, les vaches seront mieux gardées. La tolérance dans ce domaine ne badine plus. On aime mieux batifoler en solo dans sa tombe sans voisinage du même bord religieux sans autres faits d’accommodements pour les 108.000 musulmans aspirants au Québec. D’un cimetière à un autre dans le monde musulman, l’uniformité simpliste dévie. Elle gravite de plus en plus vers l’opulence affichée. La pratique d’antan respectant les avis du Coran se raréfient. Dans les pays du Sahara, du Sahel et chez les Mozabites, les tombes sont austères et répondent aux normes recommandées. Au cimetière de Laval, au nord de Montréal, l’uniformité est de taille, elle se conforme en des inscriptions simples sur des écriteaux semblables. L’alignement, harmonieux contredit l’anarchie dans les cimetières d’Algérie ou celui du Cadre. Ce chaos en fin de parcours est l’aboutissement d’un manque de planification et surtout d’un manque de place. La forme égalitaire traduite par de petits panneaux où s’inscrivent les coordonnées du défunt accentue l’anonymat. A Laval, la juxtaposition est démocratiquement observée. Huit milles âmes en attende se serrent les coudes sans perturbation des quelques fondamentalistes qui ne risquent plus de faire le malin. Aussitôt les paupières rabattues, le voyage vers l’audelà entame au on son parcourt. L’extinction des feux de la vie nous plonge dans le vide de la trappe du nonêtre. La mort, cette évidence choquante impose sa marque d’outre-tombe dans ce point de jonction qu’est le cimetière. Remarquée par sa grande coupole élevée sur la Mosquée attenante au cimetière de Lavai, clignotant ainsi au convoi mortuaire en sa course finale. Une dernière prière sur le défunt et l’on se précipite vers le bout de terrain assigné en la circonstance par les tenants du territoire. Pour le cas de ses sunnites les propriétaires sont des pakistanais qui bâclent la mort sans état d’âme. L’engin en adéquation avec la civilisation creuse son trou avec facilité sous les regards hagards des accompagnateurs. Impuissants, les mines tristes sans résistance, laissent échapper quelques larmes. En pays d’origine, l’enterrement est participatif, on met la main a la pâte. Avec le bedeau qui dirige les opérations, les coups de pelles des particuliers ou de la famille en général activent l’opération. La mise à terre obéit à l’accompagnement des poignées de terre. On a l’impression de participer symboliquement au drame. Plus de 100.000 musulmans vivent au Québec mais ne sont pas tous appelés à y mourir. Une bonne partie et surtout celle des Maghrébins aspirent à se faire enterrer en pays d’origine. Les raisons sont multiples. Les Mozabites ont une obligation traditionnelle de se faire rapatrier au pays. La solidarité ethnique joue en leur faveur. La plupart malgré le coût assez élevé (7 à 8.000$) désir un enterrement de première au sein de leur grande famille. Les mosquées et les associations contribuent à la collecte pour les nécessiteux. On vit ensemble et on s’enterre comme on peut ! A quand l’égalité devant la mort ?

Réda Brixi (L’initiative) (Anthropologue et Muséologue)

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