Juin 1999, nous vivons le parfait bonheur malgré quelques inquiétudes au niveau de la santé de mon époux, un homme généreux, chaleureux et bon. Mariée avec Donald depuis seulement cinq ans, nous essayons de profiter le plus possible de notre amour car nous sommes à notre deuxième union et nous voyons le temps filer rapidement.

Lors de l’un de mes rendez-vous de routine chez mon médecin de famille, j’ai abordé les problèmes de santé que mon conjoint vivait depuis plus de trois ans; des fortes fièvres toutes les deux à trois semaines, douleurs dans le bas du ventre, sensations de brûlures lors de l’expulsion de l’urine, etc. Il avait consulté quand même trois urologues et chacun des trois affirmait qu’il avait seulement des infections urinaires malgré le fait qu’il avait passé tous les tests possibles et imaginables : Scanners, IRM, Radios, Cystoscopies, etc. Le dernier médecin lui a même dit que le problème était dans sa tête et qu’il devait prendre des vacances. Ce qui est sûr, c’est que mon conjoint était fatigué. Il passait des journées à souffrir. Mais selon ce médecin, il devait prendre des vacances, puis ce mal allait disparaître.

Mon médecin de famille décida donc de l’envoyer consulter un autre de ses collègues; un urologue-oncologue très réputé de la région de Montréal. Le rendez-vous fut pris rapidement et nous nous retrouvâmes, devant un spécialiste à l’écoute qui pris le temps de voir avec mon conjoint les examens qu’il avait déjà passé et décida de lui repasser une autre batterie de tests. À la sortie de son rendez-vous mon conjoint n’était pas plus convaincu et me confia qu’il allait encore souffrir lors des examens que son nouveau médecin lui demandait de faire. Il m’avoua devoir passer les tests pour moi car je semblais très inquiète de le voir dans cet état. Puis il réalisa que cela faisait plus de trois ans qu’il souffrait et que son mal était omniprésent. Il était inquiet lui aussi car il savait que le mal était là…et pas uniquement dans sa tête.

Très rapidement, le jeudi suivant nous avons reçu un appel du spécialiste lui-même qui nous demanda de nous rendre à son bureau dès le lendemain matin car il devait nous voir rapidement. Il avait des nouvelles concernant les derniers résultats.

Mon conjoint soulagé me regarda et me dit : Enfin, je ne suis pas fou, finalement!

J’étais extrêmement nerveuse lors de ce rendez-vous et je ne savais vraiment pas à quoi m’en tenir.

Dès notre arrivée, le médecin parla calmement et nous expliqua que mon mari avait le cancer de la vessie et que ce résultat avait été confirmé par une simple prise de sang ainsi qu’avec la cystoscopie.

Nous nous sommes regardés et j’ai eu les yeux pleins d’eau, car des questions fusaient immédiatement dans mon esprit mais je ne voulais surtout pas me mettre à pleurer devant mon époux et encore bien moins devant le médecin. Je me devais d’être forte car il avait besoin de moi. Les questions qui me venaient immédiatement à l’esprit furent : Mais qu’ont fait les trois autres médecins auparavant? Comment cela se fait-il qu’eux n’ont rien vu alors que mon conjoint souffrait le martyre depuis toutes ces années? Pourquoi les tests précédents n’avaient rien donné? Pourquoi ces « spécialistes » n’avaient pas su détecter avant les raisons de ce mal qu’il ressentait continuellement?

Le lundi qui suivit, nous avions déjà un rendez-vous avec un autre spécialiste urologue-oncologue réputé lui aussi. Nous avions le diagnostic et nous savions maintenant tous les deux que mon mari était malade…oui très malade! Lors de la rencontre, ce médecin qui était très gentil et calme nous accueilli et nous expliqua que mon conjoint aurait une décision importante à prendre : Soit se faire installer une nouvelle vessie intérieure qui serait fabriquée lors de l’ablation de la sienne ou alors avoir une vessie extérieure. Son choix était très difficile et avait des conséquences pour le restant de ces jours.

Pour plusieurs personnes, une vessie c’est une vessie mais quand tu vois ta vessie à l’extérieur de ton corps tous les jours et que tu ne peux plus t’habiller comme avant car ce sac de plastique prend de la place à la ceinture de ton pantalon, comment est-ce que tu te sens? Tu dois porter une attention particulière à ton hygiène corporelle car tu es plus sensible aux infections et aux microbes environnants.

La décision de faire reconstruire une vessie intérieure n’était pas la meilleure décision car son travail de mécanicien l’amenait à bouger beaucoup trop, en se pliant et se penchant régulièrement. Cela aurait fait en sorte qu’il aurait eu des pertes d’urine ce qui l’aurait conduit à porter des couches d’adultes.

Pour mon conjoint cette décision était impensable. Donc, son choix fut de se faire construire une vessie extérieure (stomie).

Une semaine plus tard, il était en salle d’opération pour effectuer cette laborieuse chirurgie qui dura sept longues heures.

L’attente était interminable pour moi car je ne savais pas et ne réalisais pas à quel point cette opération allait changer le tempérament de mon conjoint que j’aimais tant. La convalescence dura plusieurs mois.

L’adaptation de ce nouveau sac étranger à son corps ne fut pas facile. Puis commença également une batterie de traitements de chimio et de radiothérapie. Une série de 25 traitements de radiothérapie était nécessaire selon les médecins traitants qui l’informèrent qu’il n’y aurait aucune séquelle et que cela, on l’espérait tous, ferait en sorte que le cancer serait anéanti à jamais.

Et les traitements de chimio? Pas pour Donald, qui après deux séances seulement me confia qu’il allait en mourir!

En 2003, les médecins annoncèrent à mon conjoint que l’un de ses reins ne fonctionnait plus car une petite masse obstruait son uretère et n’alimentait plus son rein gauche.

Une autre opération allait l’affaiblir encore plus. Il était très inquiet et devenait de plus en plus impatient. Il n’avait plus de moral et n’avait plus de force. Il ne prenait plus le temps de me parler ou de me faire sentir qu’il m’aimait car il était en mode de survie continue.

À ce moment-là, j’aurais aimé qu’il me prenne dans ses bras et qu’il me dise qu’il m’aimait. Mais il n’avait pas conscience que tous les médicaments qu’il prenait le changeaient complètement au point où il devenait agressif et instable.

Dans l’année qui suivit l’ablation de son rein gauche, après un suivi trimestriel, les spécialistes lui annoncèrent que malheureusement les traitements de radiothérapie ont fait en sorte qu’ils avaient brûlé une partie de ses intestins. Alors d’autres problèmes apparurent : Ablation de plusieurs pieds d’intestins, fréquents séjours à l’hôpital, douleurs régulières épouvantables. L’incompréhension du personnel des urgences était palpable auquel s’ajoutait le mépris des internes qui ne voulaient pas le rencontrer et le soigner car pour eux, ils étaient formés pour sauver des vies et non pour aider les personnes comme mon mari qui avait passé du temps aux soins palliatifs. Selon moi, mon mari a servi de cobaye à plusieurs reprises, pour ces « Dieux » de la santé. Nous étions pris dans un engrenage où nous ne savions pas comment ni quand on allait s’en sortir.

Nous écoutions les conseils de ces spécialistes qui essayaient de lui sauver la vie mais quelques fois on se demandait à quel prix? Mon conjoint a survécu à toutes ces souffrances occasionnées par les traitements reçus durant neuf ans. Mais il n’avait plus de force, ni d’endurance, bien qu’il ait tout fait pour rester avec nous et ce, malgré sa douleur quotidienne.

Le nombre de fois où je l’ai trouvé inconscient à la maison est incalculable à cause de la douleur qui était intolérable. Les déplacements aux urgences, en voiture ou en ambulance et les séjours prolongés à l’hôpital étaient notre lot quotidien. Il pouvait passer trois jours sans voir un médecin car personne ne savait comment faire pour l’aider. Tous se sentaient impuissants.

Lui qui avait quémandé plusieurs fois à ses médecins à être euthanasié pour mourir dans la dignité, n’avait trouvé de réponse favorable à sa demande. Tous savaient que ses jours étaient comptés. Il souffrait énormément et aucun traitement n’existait pour lui donner une meilleure vie.

Le matin du 7 juillet 2008, Donald nous quitta après des années de terribles souffrances.

Les années passées auprès de cet homme m’ont appris à ne jamais baisser les bras, à avoir le courage de mes idées et de ne jamais lâcher quel que soit la situation. Vivre à côté de quelqu’un qui a dépérit jour après jour et qui a gardé malgré tout le sourire et le goût d’avoir des projets, me laisse croire que je n’avais pas le droit de lâcher et que je devais me battre pour lui. J’ai également réalisé qu’il m’aimait inconditionnellement comme j’étais. Le temps passé auprès de lui m’a confirmé l’amour qu’il avait pour moi.

Depuis le départ de Donald, les mois de juin et juillet me serrent la poitrine car lorsque je me lève et je contemple le lever du soleil, je ressens une peine intérieure qui est là et qui revient toujours année après année. Je ne savais pas pourquoi je me retrouvais dans cet état mais j’ai enfin réalisé que mon corps garde en mémoire dans mon être et dans ma chair le souvenir de l’énorme peine et la sensation d’incompréhension et d’impuissance face à son combat contre cette terrible maladie.

Je pense régulièrement à tous les aidants naturels qui sont présents et donnent du temps, de l’énergie, de l’amour aux êtres chers. Ils sont présents pour les soigner, les nourrir et les accompagner à leurs rendez-vous quotidiennement et font preuve de beaucoup de résilience, de force spirituelle et physique pour survivre à ces situations au prix de leur propre personne.

Carole Dumont

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