Le recueil de poème Nomade Autarcique[1] de Najib Redouane[2] est un véritable océan où les sentiments sont à tout moment convoqués. L’auteur dédie ses écrits à Albert Memmi : « A Albert Memmi, grand humaniste, qui, en écoutant quelques fragments de ma vie, m’a appelé Nomade autarcique ». Cette pensée réservée à cet écrivain est suivie par une citation de trois auteurs : « Le nomade ne se met pas en marche s’il n’a pas une terre promise à laquelle rêver »[3], « Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les villes et les rues »[4], « Vous pouvez arracher l’homme du pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du cœur de l’homme »[5].

L’âme s’exprime et les idées s’affirment : 

Quand la mer est houleuse, elle déverse tout ce qui était caché dans ses profondeurs. Il en est de même pour l’être humain. Il arrive un moment où le besoin de s’exprimer se fait remarquer :

« Tout en moi éclate en un déluge de colère,                                                                                           

Contre ces années perdues dans l’amertume,

Que j’ai relatées dans multiples poèmes

Qui parlent d’une décennie triste sans sourires,

Tant de choses dures difficiles à dire,

Qui ont marqué à jamais mon âme,

Meurtrie et égarée au fond d’un puits de larmes

Brisée et anéantie par de profondes blessures »[6].

Rédiger permet non seulement de transformer en mot la douleur mais aussi de décrire un vécu :

« Le racisme anti-arabe sévit à outrance

La mémoire martèle des blessures béantes

Le leader borgne affiche insolence et arrogance

Animant foules par provocations aberrantes

Et ses idées bornées macabrement contraignantes

Blessent l’histoire par grandeur de l’ignorance

Niant valeurs séculaires et démocratie stagnantes

Ressuscitant l’ère de la peur et des intolérances »[7]

Le fait même d’être partagé entre deux pays devient un sujet :

« Par devoir familial je ramasse encore mes bagages

Délaissant la terre des érables pour le pays natal

Je ne tarde pas à mon retour à reprendre l’ouvrage

Prêt à accomplir mes tâches physiques et mentales

Et privilégiant rapport professionnel et sociétal

Muni d’acquis sûr je me sens nouveau personnage

Souhaitant tourner la page à tout désespoir brutal

Et dénicher bonheur sentimental et solide ancrage »[8]

Aller et revenir est une nécessité pour que l’âme ne se laisse pas périr.

« Captant quelques bulles de ma saga dramatique

Je vois au fond de ma coupe traces de personnalité

De ma terre natale jusqu’à cette contrée volcanique

Invoquant ancrages qui ont forgé mon identité

Façonnée de valeurs séculaires par mon islamité

Louangée dans mes mots rebelles d’éclats poétiques

Dans mes veines coulent berbérité et arabité

Guidant mes pas et actions de nomade autarcique »[9]

Dans le voyage dans les ruelles de l’âme de Najib Redouane le vécu construit son chemin assurant l’arrivée d’un lendemain.

[1] Najib Redouane, Nomade Autarcique, Ed/ Du Marais, 2016.

[2] Canadien d’origine marocaine, il vit aux Etats-Unis depuis 1999 où il enseigne les littératures de la francophonie du sud. Il a déjà publié un roman A l’ombre de l’eucalyptus et plusieurs recueils de poésie qui s’inscrivent dans la réalisation d’un récit poétique.

[3] Jacques Attali, Extrait de Fraternité- Une nouvelle utopie

[4] Francis Picabia, Extrait de Ecrits II

[5] John Dos Passos, Extrait de Bilan d’une nation.

[6] Najib Redouane, Nomade Autarcique, Ed/ Du Marais, 2016, p. 9.

[7] Najib Redouane, Nomade Autarcique, Ed/ Du Marais, 2016, p. 47.

[8] Id, p. 55.

[9] Ibid, p. 72.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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