La parité dans le soutien financier des films par nos institutions n’est pas encore atteinte, que ce soit dit. L’organisation Réalisatrices Équitables est préoccupée par la manière dont les institutions choisissent de présenter leurs résultats, utilisant des formules qui alimentent l’illusion que la parité est pratiquement chose faite.
Le communiqué envoyé le 24 juillet 2019 par Téléfilm Canada, par exemple, était ainsi titré :
Téléfilm Canada finance la production de douze longs métrages de langue française dont la moitié sont réalisés ou scénarisés par des femmes.
Or, avec les mêmes données compilées de la même manière, Téléfilm aurait pu écrire :
Téléfilm Canada finance la production de douze longs métrages de langue française dont 68% sont réalisés ou scénarisés par des hommes.
Comment? Sur 12 films financés:
● 7 films réalisés par un homme (58%) + 1 film scénarisé par un homme (réalisé par une femme), donc 8 films réalisés OU scénarisés par un homme, soit 68%.
● 5 films réalisés par une femme (42%) + 1 film scénarisé par une femme (réalisé par un homme), donc 6 films réalisés OU scénarisés par une femme, soit 50%.
Résultat : même si ces institutions n’ont encore jamais financé, sur une année fiscale, un ensemble de longs métrages dont la moitié était réalisée par des femmes, ils font régulièrement l’annonce d’une forme de parité.
Qu’on se rappelle le communiqué de la Sodec daté du 10 mai 2018 qui racontait que « Sans changer quoi que ce soit à nos critères d’évaluation, près de la moitié des projets retenus seront portés par des femmes! ». Dans les faits, 4 films sur 12 (un tiers!) étaient réalisés par des femmes et, sur les 8 autres films, seulement un était co-écrit par une femme. Drôle de façon d’être « près de la moitié »…
Ces formulations où le mot parité est affublé d’un « presque », d’un « quasi », ou bien le recours à cette fameuse et réconfortante zone paritaire — qui commence à 40% et rappelons-le n’a pas été établie pour qu’on se contente d’en effleurer le seuil — induisent en erreur. Pour cette raison, demandons aux institutions de divulguer les résultats de leurs décisions de façon neutre et factuelle. Et évitons les mots parité ou équité à moins que, effectivement, la moitié des films soutenus soient réalisés par des femmes. Cette mauvaise habitude alimente l’illusion de progrès qui sont en fait moins impressionnants qu’il n’y paraît.
Téléfilm Canada a procédé à des changements significatifs dès 2016, et continue aujourd’hui à fournir des efforts considérables qui prouvent son engagement envers l’objectif de la parité. Mais les résultats des décisions, tout comme les montants octroyés, devraient toujours être présentés de façon neutre et par catégories : production, scénarisation, réalisation. La Sodec, quant à elle, a implanté en 2017 des mesures paritaires sur le nombre de projets déposés*, mais pas sur celui des projets soutenus. Depuis, l’institution québécoise reçoit plus de projets portés par des femmes et elle en finance plus qu’avant, certes, mais l’objectif des mesures paritaires (l’équité) semble avoir été revu : on ne vise pas le 50%, mais une forme de ratio en fonction des projets déposés.
Il est primordial de divulguer des données claires afin d’offrir un aperçu juste de la situation. Car dans la réalité, il y a beaucoup de productrices, mais en ce qui concerne les postes créatifs clé – scénarisation et réalisation – les femmes demeurent sous-représentées et sous-financées. Alors on ne peut pas additionner les trois catégories pour donner l’illusion d’une parité atteinte ou parler de « zone paritaire » pour se donner bonne conscience.
Le collectif français qui se bat pour l’accès des femmes à la réalisation s’appelle 50/50. C’est assez clair. La parité est un engagement qu’on honore ou pas : 50% c’est le chiffre juste et ce n’est pas une zone grise. Dans notre industrie cinématographique, et malgré l’abondance de projets de qualité proposés par les femmes, le soutien des films et des cinéastes n’est pas encore paritaire.
À propos de Réalisatrices Équitables
Réalisatrices Équitables (RÉ) est un organisme à but non lucratif fondé en 2007 qui compte 250 membres officielles (réalisatrices professionnelles et membres-amis), un réseau de 1200 sympathisantes et sympathisants, et travaille en collaboration avec des réalisatrices d’ailleurs au Canada et dans le monde.
Réalisatrices Équitables vise à atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec et faire en sorte que les fonds publics destinés au cinéma, à la télévision et aux nouveaux médias soient accordés de façon équitable aux réalisatrices.
* La règle du 1+1: lorsqu’un producteur souhaite déposer deux projets en production, la Sodec exige qu’au moins un de ces deux projets soit écrit/co-écrit, ou réalisé/co-réalisé par une femme.