L’injonction des autorités fédérales est claire : les voyages à l’extérieur du Canada sont à proscrire. Quant aux autorités québécoises, elles pressent Ottawa d’aller plus loin et d’interdire purement et simplement les voyages non essentiels.

Quelle est la valeur de cette injonction sur les travailleurs étrangers ?

À l’heure d’écrire ces lignes, les dispositions législatives et réglementaires ne vont pas jusqu’à interdire les vols internationaux. Les communications officielles des autorités se font toutefois plus fermes. Ainsi, pouvait-on lire, dès le 19 janvier 2021, sur les médias sociaux de l’Agence des services frontaliers du Canada « (qu’) avec l’arrivée des vaccins, nous comprenons que les Canadiens sont encore plus désireux de se réunir en famille et avec leurs amis. Mais nous tenons à vous rappeler que tout voyage discrétionnaire (optionnel) est toujours interdit afin de vous protéger. »

Une telle injonction peut-elle empêcher les travailleurs étrangers et leur famille vivant avec eux au Canada de retourner dans leur pays de citoyenneté, à l’arrivée des prochaines vacances de février et de la relâche ? La question se pose. À l’évidence, un travailleur étranger ne peut être empêché de quitter le Canada.

Est-il libre, de fait, de prévoir des voyages dans les semaines à venir ? Absolument pas, car le danger est au retour. Un travailleur étranger qui quitterait le Canada pour une raison non essentielle se place à risque de ne pas être autorisé à y ré-entrer. Les autorités ont déjà annoncé que les restrictions aux frontières pourraient être renforcées à tout moment et sans préavis, sans plus de précisions. On se souvient que lors de l’annonce de la fermeture des frontières internationales en mars derniers, les travailleurs étrangers avaient été initialement exclus des personnes pouvant entrer au Canada. Force est de relever que leur statut au Canada est plus précaire que celui de résident permanent et de citoyen, et qu’un travailleur étranger peut toujours être redirigé vers son pays de citoyenneté.

En outre, la famille immédiate des travailleurs étrangers, tels que les enfants mineurs seulement titulaires d’une fiche de visiteurs, a besoin d’une autorisation spécifique d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour entrer au Canada. Tout au long de la crise, ce type d’autorisation était parfois refusé, au motif que le demandeur n’établissait pas que le but de son voyage était de nature non facultative, ou non discrétionnaire, empêchant les familles de voyager. Dans le contexte, on peut s’attendre à un resserrement dans l’octroi de ces autorisations.

En conclusion, il n’existe pas de définition de cette notion de voyage discrétionnaire, laissant une part d’interprétation aux agents d’immigration. Si tout voyage d’agrément, à des fins touristiques ou familiales, est à l’évidence un voyage qui sera perçu comme non essentiel, tout déplacement professionnel ne va pas être considéré comme de facto non discrétionnaire. Notamment si la personne voyage accompagnée de son conjoint, si l’activité peut être réalisée en télétravail ou si le déplacement correspond à des congés scolaires.

Beaucoup d’éléments peuvent être pris en compte pour estimer la nature spécifique d’un déplacement. Si les autorités appellent aujourd’hui les Canadiens à ne pas voyager, cette injonction doit donc aussi être prise avec le plus grand sérieux par les travailleurs étrangers et leur famille établis au Canada, auxquels la recommandation de ne pas sortir du pays semble être aujourd’hui la recommandation la plus sage.

Me Natacha Mignon, avocate en immigration

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