Quand on vit avec des sensations de dégoût et des humiliations à tous les goûts associées aux privations quotidiennes de tous genres, c’est qu’on hasarde son pas sans savoir où il nous mène, et on parle de l’errance des âmes perdues dans ce pays renversé sur sa carapace. Chasser le désespoir par l’espoir. S’impliquer et appliquer sa philosophie dans l’attente des jours meilleurs quand on sait d’avance que l’inanité affichera sa rigueur. Gamberger, attendre, espérer… L’attente demeure l’espoir des sans-espoirs. Se morfondre vainement tout en souffrant en silence quand rien ne s’illumine de l’horizon, face aux latences bureaucratiques, face aux obédiences idéologiques, face aux crises touchant toutes les catégories d’âge. C’est cela naître sous la mauvaise étoile au moment où d’autres se voient telles des étoiles brillantes sous des étoiles étincelantes, illuminant leurs semblables en brillant de l’intérieur car vivant sous l’égide de la bonne politique des gouvernants. Ceux-là de chez nous, cossus, gras, ingrats, cupides, stupides, irresponsables et immatures de leurs gestes et consciences de seconde zone, portent un nom que le verbe ne saurait définir.

Il est là propulsé, le fruit des contagions des corps et des nuits solitaires quand le langage physique prône sur tout. Lui s’érige en patriarche, et elle s’éduque en femelle. Le jour, ils se détruisent, et la nuit, ils s’inventent. Ainsi se renouvellent ces éphémères refuges pour le bien-être de soi donnant des ombres continuelles à autrui. Naître innocent et vivre en victime en marquant ses pas dans le vide tout en suivant à la trace les traces de ses semblables. Endoctriné à sa naissance dans le milieu dans lequel il évolue timidement, les rêves sans limites, les espoirs brisés, l’âme en peine, le tempérament colérique, et la tête bloquée à l’âge de l’adolescence. D’où le recours au religieux et à la volonté de Dieu tout en bannissant le politique qui échoue et qui le fait échouer. La justice sociale en berne. De là le fanatisme naît et le terrorisme recrute. Qui blâmer ? Le régime bien sûr car couvant sur un système archaïque des années de plomb : la pensée unique, les penchants iniques. Se voyant tels des sauveurs de la plèbe et donneurs de leçons, eux propriétaires de beaux appartements et spacieuses villas dans des quartiers huppés, voire de palaces de luxe d’ailleurs… Ils sont tout et ont tout, hormis ce que nous ne sommes et n’avons pas. Un jour ils comprendront que la taille matérielle ne sert à rien, et que plus l’ascension est rapide, plus la chute sera brutale. Ce jour-là, ils seront dépouillés de tout, et nous, nous garderons tout, tout ce que nous avions déjà et construit depuis, à savoir : notre dignité et notre respect. La discorde semée, ils nous ont habitués à être ces bêtes de somme sur deux pieds vivant à leurs dépens, la tête fixée au ventre ayant la forme géométrique d’un tube digestif sans forme. Tordus tel un cep, un pied sain ne peut corriger un pied bot pour ainsi garantir l’équilibre du corps. Le taux de réussite sociale est minime : on naît pauvres, on demeure pauvres, on meurt pauvres. La volonté est là, mais comment la traduire et la transposer ? L’amour est là dans les cœurs, mais comment l’affirmer et le partager ? Trop idéaliser, cela induirait à l’erreur et à la déception. Mais rien ne viendrait dans l’inertie : il faut avoir du toupet pour réussir en bousculant sa personne et en aidant le hasard. Il faut avoir un toit pour sortir de l’ordinaire, ainsi on penserait à sa moitié, au mariage et à l’éducation à transmettre. Privé de sa dignité. Déchiré avant l’âge pubère et l’existence vouée à l’échec. La crise de la quarantaine chez les hommes et celle de la trentaine chez les femmes. Comment s’élever ? Chercher quelques adages philosophiques ou écrits rationnels à cette âme confuse pouvant la seconder dans cette survie n’est qu’un leurre. Se dire que « pêcher, cela requiert de la patience », n’est qu’une fantaisie de trop. Croire aux lendemains certains n’est qu’un refuge auxiliaire pour cette conscience vertigineuse en proie à toutes les dérives : dépression, suicide, les faux paradis d’ailleurs, et tout ce qui rime avec.

Le paradoxe d’une vie sous l’influence des régimes totalitaires est là. Ils font tout de telle sorte à se maintenir, soit par un endoctrinement idéologique, soit en divisant pour régner, soit les deux associés. C’est la manière à eux de prolonger leurs prérogatives en occupant leurs espaces tout en plongeant la société dans le labyrinthe infernal, ainsi ils nous abêtissent, ainsi ils nous cernent, ainsi ils nous guident. Le résultat concret voire tangible est là : on les applaudit toujours car distraits à leur façon et anxieux à la nôtre pour être occupés autrement au lieu de nous pencher sur ce qui pourrait nous faire avancer. Mais rien ne semble s’amorcer de ces confusions où tout le monde est maître, où personne ne règne sur personne. L’inobservation des règles est totale.

Toute perversion morale mène à la perversion de la conduite ; comme elle abêtit celui qui s’y adonne, elle engourdit, pour ces raisons, l’esprit qui s’y mêle. Marquer son temps au lieu de le subir, c’est marquer son histoire en la faisant avancer. Comment expliquer par une éducation édifiante et le savoir instructif qu’une nation vit pleinement en se qualifiant de société sélecte que lorsque le religieux est séparé du politique. Et c’est à partir de cette libération que l’éducation des mœurs s’amorcerait d’elle-même.

Jamais on ne chasse l’eau par l’eau… Pour pouvoir les chasser, il faut commencer par revoir sa conception en se formatant d’abord soi-même puis opter pour les extrêmes : soit se libérer des adeptes de l’utopisme en appliquant pacifiquement et intelligemment la technique de la guêpe, soit continuer à subir en suivant celle de la vipère acculée mordant sa queue. Stimuler sa personne et booster son courage, c’est mettre en cause tout ce qui bloque. Le sevrage qui s’applique par étapes, l’indépendance aux dépendances réceptives le suivra. Et ce qui nous fige dans cet état léthargique est notre degré d’instruction à la traîne. L’ignorance met le peuple dans un état d’esclavage. « Oui, les enfants seraient bien élevés si les parents étaient bien éduqués », avait écrit Goethe. Et l’on constate de nos jours que la pédagogie s’intéresse plus à l’éducateur qu’à l’être à éduquer, et encore plus sur l’état affectif que sur le raisonnable. Trop gâter ne ferait pas l’homme pouvant laisser vivante son empreinte au cours de son passage dans la vie, et tôt ou tard, la vérité éclatera car elle est comme l’huile, elle s’élève au-dessus de tout ! Si toutefois on arrive à écarter la peste, surtout méfions-nous du choléra qui pourrait nous rattraper : le premier a semé des interrogations complexes sur terre en mêlant l’ambigüité aux contradictions, et le deuxième promettra des concrétisations idylliques sous terre en mettant en avant l’affect et le sentiment. Et c’est la raison pour laquelle il faut ouvrir l’œil en gardant le rationnel prôner. S’ouvrir au monde moderne et aux autres cultures, cela ferait enrichir la nôtre. Les réussites, certes, nous enseignent, mais les échecs nous éclairent encore plus. Et c’est à partir de là que pourraient se muer le mensonge en réalité et l’illusoire en certitude.

L’extrait du Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley s’adapte et me semble d’actualité : « (…) Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. » Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. (…) »

Iris (Mohand-Lyazid Chibout)

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