Manifestation en Algérie à l’heure du Hirak 2019 – Crédit photo : Samir Maouche (Algérie)

Dans ce vortex de turbulences qui tourmente l’Algérie, les dissensions se font de plus belles. Certes, c’est dans ce genre situation où règne l’imbroglio que la bataille fait rage, car nombreux sont ceux qui tentent de tirer la couverture à soi en obligeant ses pairs à se découvrir davantage. Plusieurs clans s’entredéchirent et se livrent une bataille sans merci. Ces divergences, aussi patentes que latentes, montent crescendo au fil des semaines. Qu’elles soient d’ordre intellectuel, culturel, économique, idéologique, politique, ethnique…Ces divergences qui marquent un profond malaise au sein d’une société qui a été de tout temps en proie à l’imposture, voire, à une falsification de l’histoire afin d’embrouiller tous ses repères. Aujourd’hui, ces antagonistes se tirent à boulets rouges et n’hésitent aucunement à diaboliser, stigmatiser l’autrui pour se donner une légitimité et gagner la sympathie de ses semblables. À l’orée du 22 février 2019 ayant vu la naissance du mouvement populaire, tout le monde croyait dur comme fer que la hache de guerre est enfin enterrée pour laisser place à un seul objectif qui n’est autre que le déboulonnement de la pègre (Issaba). Mais, au fil des semaines, il s’avère que les schismes se révèlent davantage. Démocrates et conservateurs, laïcs et islamistes, féministes et sexistes, nationalistes et régionalistes, berbéristes et arabisants…Autant de maux que certaines voix tentent de minimiser de crainte que le mouvement ne soit annihilé, et d’autres, celles du régime qui redoublent de férocité afin d’écarteler les fissures et crier la division. Entre diffamation et calomnie, conviction et éloge, la tension est à son apogée. C’est dans ce paysage hautement électrique que le complotisme se hisse au firmament. Dans un passé récent, le clan de Bouteflika s’est entouré de flatteurs qui le flagornaient sans vergogne, et dès que la donne a changé, cette même caste de thuriféraires et autres frotte-manches n’ont pas hésité une seconde, toute honte bue, à cracher dans la soupe pour montrer patte blanche au nouvel homme fort de l’Algérie, en l’occurrence Ahmed Gaïd Salah. Traverser le pont de la pleutrerie pour ces couards tous azimuts n’est qu’une simple formalité, en sus, ce qui prime à leurs yeux est de garder les mêmes privilèges et autres passe-droits consentis par l’ancien locataire d’El-Mouradia.

Mais, la problématique des clivages peut-elle être éludée ? Pas si sûr, d’autant plus que le régime en place depuis l’Algérie post-indépendante, voire même avant, a nourri et s’est nourri de l’unicité en reniant les différences tant sociales, culturelles et politique. Quand la pluralité est abhorrée au nom de l’individualité, le multiculturalisme est banni au nom du nationalisme, l’histoire est falsifiée pour en faire un long fleuve d’amalgames…Le délitement de la société est inéluctable. Les différentes ethnies composant le vaste territoire de l’Algérie collaborent et dialoguent sans être astreint à renier et sacrifier leurs identités particulières. Et c’est là que la caste politico-militaire à pêcher depuis des lustres. Peut-on ainsi remettre en cause l’identité amazighe vieille comme le monde ? Doit-on se cantonner dans cet éternel esclavagisme identitaire ? La réponse est non !

Les crises ou les conflits comportant la dimension d’appartenance ethnique abondent dans l’actualité. Et c’est dans ce contexte que les élites sont appelées à décomplexer les tabous, démystifier le peuple en dissipant l’illusion, désacraliser les sujets relevant de langue et de la religion. Durant des décennies, un matraquage idéologique effréné est orchestré contre le peuple à telle enseigne qu’il ne sait plus où se donner de la tête. L’identité d’une communauté, d’une région réside, le plus souvent, dans l’affirmation de ses différences, l’ancrage de ses racines historiques et culturelle, sans la diabolisation de l’autre. Le pouvoir algérien s’est illustré dans plus d’un demi-siècle par ses tentatives d’effacer l’identité berbère au profit d’une autre identité imposée au nom du panarabisme. Cependant, l’histoire millénaire d’un peuple ne peut être dégommée d’un revers de main. En somme, quand les populations sont vouées à être juxtaposées, évitant de s’entremêler, de s’accepter en tant que tel, de là naquirent et naissent encore d’innombrables et parfois d’inexpiables conflits, dès lors que le régime en place attise le feu en jouant sur la fibre identitaire.

Il est grand temps d’engager des débats sur la sortie de crise que traverse le pays, mais en aucun cas, il ne faut faire l’impasse sur des sujets longtemps voilés à l’image de la régionalisation, la laïcité, des droits de la femme, le racisme…C’est à partir de là que de nouvelles perspectives dans la façon de penser le lien des individus à leur territoire, à leur histoire et d’envisager la fabrique des convictions et des principes à partir desquels arrimer leurs choix.

La dénonciation des failles mortifères comme les mensonges portés jalousement par ce système totalitaire au conspirationnisme nihiliste et les traumatismes individuels et collectifs qui en ont résulté peuvent ainsi développer un solide attachement aux vertus d’un modèle démocratique s’arcboutant sur la voix du peuple et rien que par le peuple. La conviction et la rationalité viennent ainsi renforcer les choix de la société en général et des individus en particulier pour s’en défaire du joug de la domination. L’homme est comme une araignée qui tisse la toile de ses propres convictions, de ses propres actions. Et c’est dans ce sens que la théorie wébérienne prend tout son sens. Pour rappel, Max Weber, juriste, économiste et sociologue allemand, s’est intéressé aux deux concepts que sont la rationalité des actions ainsi que la domination. Deux axiomes sur lesquels nous avons développé notre analyse au cas algérien. La domination qu’a exercé le régime absolu depuis 1962 à nos jours s’est matérialisé par une abdication du peuple qui s’est résigné à baisser les bras, excepté les soulèvements d’avril 1980, d’octobre 1988, en passant par la décennie noire et avril 2001 pour en finir au « hirak », où plutôt révolution qui me semble plus appropriée. Toutes ces années de mutisme ont conforté le pouvoir en place à asseoir son hégémonie. Quant à la rationalité des actions, celle-ci est la clé de voûte pour amener tout régime spartiate à fléchir et se soumettre à la volonté du peuple. Des actions mûrement réfléchies et savamment entreprises loin de tout calcul machiavélique pouvant mener à l’échec.

En cette conjoncture difficile qui n’a pas encore livrée tous ses secrets, les déclinistes de tout crin ont de quoi nourrir leurs convictions, d’autant plus que tous les scénarios sont plausibles. Après quatre mois d’incessantes marches où le peuple bat le pavé sans relâche, les magouilles, les micmacs les manigances, connotées par une inextricable confusion, notamment de la part d’un Ahmed Gaïd Salah qui n’en finit pas de mettre les bâtons dans les roues risquent de délaver la volonté d’un changement tant attendu. Pour la pérennité d’un tel mouvement, il est primordial de connaître son ennemi et son allié au risque de se tirer une balle dans le pied. Reproduire les mêmes errances et les mêmes erreurs du passé serait plus qu’une fatalité à la survie des libertés longtemps bafouées. Il faut garder en ligne de mire la chute de ce régime spartiate qui, de par ses relais et de ses ramifications ne lésinera nullement sur les moyens pour venir à bout de cette dynamique populaire. La dictature colle à ce régime comme du cambouis que seul une lessive intense est en mesure de venir à bout de cette souillure comme ce fut le cas au cours de l’histoire dans de nombreux pays dont les divers caudillos tombaient au fur et à mesure comme ce fut le cas du Portugal, Espagne, Brésil, Argentine, Chili…

Bachir Djaider (journaliste et écrivain)

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