Gastón Acurio est un homme passionné. Après avoir abandonné ses études en droit, il prend des cours de cuisine en Espagne puis en France, à la prestigieuse école Cordon Bleu. Il retourne au pays avec une femme et un projet qui va changer sa vie. En s’exerçant en cuisine française, il « redécouvre » la cuisine péruvienne. Il ouvre un restaurant en 1994, Astrid et Gastón. Il récolte un succès spectaculaire. Voilà, une histoire de réussite.

Une nouvelle identité pour un nouveau pays

Il se rend vite compte toutefois qu’il ne peut pas en rester là. La cuisine, véritable laboratoire de goûts et saveurs, peut se transformer…en laboratoire social pour changer le pays. Voilà le récit qui nous est raconté par la réalisatrice Patricia Pérez. Le projet, la cuisine comme moteur de développement. La recette, parcourir le pays de fond en comble. Le but, revaloriser le travail des « producteurs » des Andes et de la Côte péruvienne. Du coup, on peut apprendre aux péruviennes et aux péruviens que « tout est possible » et que l’on peut « changer » le pays au moyen d’une « révolution des cœurs », une révolution « sans sang ». Cette nouvelle identité qui est forgée par ce projet ne peut être comprise qu’à l’intérieur de l’histoire récente du pays.

Violence et crise sociale

1980. À l’instar des mouvements armés apparus dans la décennie précédente en Amérique latine, le Sentier Lumineux (groupe armé maoïste) déclare la guerre à l’État péruvien. Une véritable spirale de violence se déchaîne dans le pays. La brutalité du mouvement rebelle se bute à une riposte étatique aussi violente. De nombreuses violations de droits humains ont eu lieu. 69 000 morts est le résultat de cet affrontement. De plus, dans les années 90, un régime autoritaire s’y installe et c’est après sa chute l’année 2000 que le pays vit une transition politique. Il faut soigner les blessures. Une commission de la vérité vit le jour. Pour certains, il était question de juger les coupables ; pour d’autres, il fallait oublier vite et passer à autre chose…

Après la violence, un pays ouvert sur le monde…vraiment ?

Dans une cuisine, les ingrédients peuvent bien se marier et atteindre une harmonie parfaite. Dans la société, c’est différent : La vision d’Acurio présentée par Patricia Pérez en est une romantique, voire dépolitisée, c’est-à-dire dénué de conflits. Et ce n’est pas parce qu’ils n’existent plus au pays. L’allusion au « conflit armé interne » n’est pas directe ; on le saisit au moment de parler de la révolution des cœurs. On se rappelle de la violence, mais on ne parle pas de justice. On parle plutôt de cuisine et de gastronomie, et sur ce point Gaston Acurio s’y connaît très bien.

C’est une nouvelle identité qui se construit ainsi autour de ce récit. Une identité plus « optimiste », « fière » par rapport à celle des années quatre-vingt. Mais comme toute identité, elle est politique. Il s’agit de construire une « marque pays », un pays ouvert sur le monde et aux investisseurs…et sans conflits. Mais des fissures existent et elles se manifestent avec force lors des joutes électorales. Gastón Acurio jouit d’un grand capital symbolique. Pour les élections présidentielles de 2016, il peut donner son appui à un candidat-e ou encore il peut même se présenter comme l’outsider de la scène politique puis il aurait certainement des chances. Le documentaire Buscando a Gastón fait-il partie de cette possibilité ? On verra.

Eduardo Malpica Ramos

Read previous post:
Close