Docteur en histoire, essayiste et romancier Saber Mansouri est né en Tunisie en 1971. En 2017, il publie Une femme sans écriture, en 2020 La France est à refaire Histoire d’une renaissance qui vient, en 2020 Sept morts audacieux et un poète assis, en 2022 Un printemps sans le peuple. En 2024, il publie Paris est une dette[1]. Un roman où les réalités de celui qui quitte son pays pour un idéal prennent surface. En donnant des détails avec précision Saber Mansouri arrive à appliquer l’esprit cathartique romanesque. A l’occasion de la parution de Paris est une dette, il a répondu à quelques questions.
Le titre « Paris est une dette » fait penser d’emblée à « Paris est une fête » d’Ernest Hemingway. Est-ce pour démontrer que Paris est loin d’être une fête que vous avez choisi ce titre ?
Le titre s’est imposé à moi sans penser forcément à Hemingway. Je n’écris pas comme quelqu’un. Je n’écris pas contre quelqu’un. Je le fais avec des voix et des sons amis sortis tout droit des trésors littéraires de l’humanité. On sait qu’aujourd’hui Paris est une fête pour les nouveaux bourgeois créateurs de startups à la chaîne, le touriste fortuné et l’écrivain voyageur, pour ne pas dire écrivain-touriste. C’est l’œuvre littéraire de Faulkner qui est fascinante et inspirante. Je pense qu’un écrivain doit accepter de se faire artisan travaillant sa phrase au quotidien afin de préserver le son et l’harmonie de l’ouvrage. Aussi, il faut sortir de soi-même, se libérer de son moi et de ses propres certitudes pour saisir le monde qui nous entoure. « Comme c’est vain une idée ! Sans la phrase j’irais me coucher », écrit le délicieux Jules Renard dans son Journal.
Le personnage principal s’appelle Nader, ce qui signifie en arabe rare. Pouvez-vous expliquer les raisons de ce choix?
Nader est non seulement rare, il est aussi précieux, assez malin même, car il a compris très vite que penser, traduire, ou écrire une thèse, gêne autant que marcher sous un orage de mer. Il est déterminé, il réussit à percer les mystères du sac à main qui le nargue sur une terrasse de café. Il a parfaitement compris qu’aucune thèse n’est plus souveraine que la réalité, demeure de la grâce, de la vérité et de la bonté d’une femme et d’un homme qui le sauvent de la dégradation. Empêché de faire une thèse sur le verbe et la piété chez Bossuet, Nader devient boucher et renoue avec l’artisanat de ses pères.
Nader quitte son pays pour préparer une thèse. Il est heurté à la réalité qui règne à Paris. De désillusion en désillusion, il se retrouve à prendre conscience des impératifs du quotidien. La thèse n’est plus une priorité. Pensez-vous rendre compte d’un vécu par de nombreux étudiants ?
L’expérience et la vie constituent la nourriture première pour un roman, mais il ne suffit pas de transcrire sa vie pour en faire une œuvre romanesque. L’odyssée parisienne de Nader embrasse le destin de plusieurs étudiants d’Afrique venus à Paris pour poursuivre leurs études. Ils sont habités par ce désir de l’esprit français, mais finissent par être remis à leur place : la marge, loin de l’élite qui pense, gouverne et écrit. Le Tunisien qui ouvre une épicerie à Lille après avoir soutenu une thèse de doctorat sur les mathématiques chez Platon est une histoire vraie. La liste des rêves brisés de ces étudiants venus du Sud est vertigineuse. C’est une question que j’ai traitée avec une certaine ironie cruelle dans Tu deviendras un Français accompli. Oracle (Tallandier, 2011).
Le roman parcourt l’Histoire, puisse-t-elle être en lien avec la guerre d’Algérie, la révolution du jasmin, la souffrance en Syrie comme dit le narrateur à la page 144: « Je suis un naufragé comme l’est le petit enfant syrien, me lamentai-je, mais moi je survis, lui est mort en pleine mer, son corps est repêché sur une plage grecque ». Pouvez-vous expliquer ce qu’apporte l’Histoire aux générations à venir ?
L’Histoire peut apporter beaucoup aux générations futures, mais commençons d’abord par l’enseigner à ceux qui gouvernent, le reste suivra ; transmettre cette science humaine libérée de la guerre des mémoires, la douceur et la paix s’installeront au cœur de la cité. Malheureusement, le triomphe des plaisirs de l’instant et la dégradation du langage nous font oublier que le présent est l’enfant du passé qui ne passe pas. Pour reprendre les mots de Georges Bernanos, ce qui manque terriblement à notre époque c’est une aristocratie de l’esprit.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi
[1] Saber Mansouri | Paris est une dette | Éditions Elyzad | 2024 | 208 pages