Docteur en histoire, essayiste et romancier Saber Mansouri est né en Tunisie en 1971. Auteur de Une femme sans écriture (2017), La France est à refaire Histoire d’une renaissance qui vient (2020), Sept morts audacieux et un poète assis (2020), il axe ses écrits sur une analyse détaillée sur la situation politique, sociale régnante dans un pays. Dans Un printemps sans peuple, une histoire arabe usurpée, Saber Mansouri s’intéresse à la Tunisie et à ce qui a fait vaciller les convictions. À l’occasion de cette parution, il a bien voulu répondre à nos questions.
L’initiative : À la lecture de « Un printemps sans peuple » nous décelons une opposition criante entre ceux qui gouvernent et le peuple, quelle a été votre intention pour traiter ce sujet ?
Saber Mansouri : L’opposition entre ceux qui gouvernent et le peuple est d’une simplicité divine, elle est même pensée depuis que l’être humain, homme et femme, bien entendu, est devenu un animal politique contraint de vivre en société. Merci Aristote, car il m’aide à débuter cet entretien. Mais, la distance aidant, les philosophes changent, se succèdent, se copient, sauf que le peuple demeure éternel, cherche son salut, l’estime, la justice sociale, le salaire juste le libérant de la Chienne du monde, la misère.
Le peuple est souvent trahi par ceux qui le gouvernent, et dans le cas de la Tunisie, j’ai écrit ce livre pour réparer cette trahison. J’aime ce peuple, il m’a donné à vivre ; aujourd’hui il me donne à penser avec lui. Ibn Khaldoun, sans doute le dernier intellectuel arabe à l’esprit encyclopédique a écrit : « L’injustice ravage la Cité ». Et la Tunisie d’aujourd’hui souffre de l’injustice faite aux siens, au peuple.
À la page 15, vous écrivez « (…) Ce soir-là, tout en me félicitant de voir Ben Ali partir en Arabie Saoudite, je m’inquiétais pour la suite des événements ; je savais qu’on ne réalise pas une révolution, à coup de Dégage, de l’effondrement d’un système, mais en bâtissant, en entamant un processus d’auto-institution et d’auto-transformation ». Est-ce que vous pouvez expliquer cette idée ?
Auto-institution et auto-transformation sont deux concepts que j’emprunte à Cornélius Castoriadis, un philosophe grec contemporain (qui n’est plus). Pour moi, elles incarnent une souveraineté, une rupture, un geste annonçant l’invention d’un nouvel art de gouverner. Autrement dit, le changement, la révolution et la renaissance se réalisent de l’intérieur. Et ce processus dit la souveraineté d’un pays.
Une phrase poétique a retenu notre attention à la page 164 : « Apprendre une langue qui n’est pas celle de sa propre mère, ni de ses sœurs, ni de ses frères, ni de son père, ni même de son grand-père, c’est avoir une autre demeure, un chez-soi ami, doux, bienveillant, généreux et élégant, à la manière de Francis Ponge poussant une porte avec grâce ; c’est entrer chez quelqu’un sans effraction ». Pensez-vous que l’enseignement privilégie une langue plutôt qu’une autre ?
Oui, apprendre une langue autre que celle de sa propre mère, de ses sœurs, de ses frères et de ses voisins du palier, c’est avoir une nouvelle demeure. C’est mon point de vue, ma conviction. J’ai commencé à apprendre le français très tôt à l’école primaire, en même temps que la langue arabe. Une belle gymnastique de l’esprit que de penser dans plusieurs langues. La langue nous ouvre les univers et les demeures sans commettre la moindre effraction.
Un printemps sans peuple se veut un texte historique. Il explique clairement les grands axes qui convergent vers la Tunisie. Pensez-vous que l’Histoire se répète malgré toutes les précautions qui peuvent être prises ?
L’Histoire ne se répète pas, c’est un tapis se dépliant pour nous donner à voir la grâce du commencement, du sens du temps qui passe et de l’aveuglement moderne. Au fond, le présent de la Tunisie et des pays arabes ne peut pas se comprendre sans remonter au XIXe siècle qui a vu triompher le capitalisme, l’Empire et la colonisation.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi