Après avoir écrit, l’islam confisqué (2010), Je suis né huit fois (2013), Femmes sans écriture (2017), La France est à refaire (2019, l’auteur Saber Mansouri revient avec une nouvelle œuvre intitulée Sept morts audacieux et un poète audacieux (Ed/Elyzad, 2020). C’est à ce sujet qu’il répond aux questions :
L’initiative : Le roman Sept morts audacieux et un poète audacieux place le lecteur dans la grande Histoire de la Tunisie en passant par l’Algérie, l’Irak, la Libye…. Pouvez-vous nous dire qu’est-ce qui vous a incité à traiter le sujet en déléguant sept morts et un poète ?
Saber Mansouri : À propos de Salammbô, Flaubert écrivit ceci à Georges Feydeau : « Peu de gens devineront combien il a fallu être triste pour ressusciter Carthage. » Pour détourner ses mots en ma faveur, je dirai : beaucoup de gens devineront combien il a fallu être heureux pour écrire Sept morts audacieux et un poète assis et ressusciter les peuples arabes, les affranchir de l’accablement, de la défaite. Et puis, il y a cette idée géniale de Fiodor Dostoïevski que je partage : « L’histoire ne révèle sa propre essence qu’à ceux qu’elle a au préalable exclus d’elle-même. » Enfin, le roman est né au mois de mai 2008 par la grâce des femmes révoltées de Gafsa. Révoltées contre l’injustice faite aux ouvriers du bassin minier de la région et contre l’occupation de la ville par les forces de l’ordre de Ben Ali : « Puisque vous nous traitez ainsi, nous allons retourner en Algérie », dirent-elles. Ce retour en Algérie est un retour à soi. Et j’ai trouvé l’idée belle.
Le poète écrit à la page 87 :
« Regarde vers l’Ouest,
Ne perds pas ton Nord,
L’immense patrie,
Regarde l’oiseau voler, la chèvre danser
Et la femme peiner…
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’idée que vous voulez développer ?
Regarder vers l’Ouest, c’est regarder le pays frère et voisin : l’Algérie. Pour la Tunisie, c’est un voisin bienfaiteur, en particulier après le 14 janvier 2011. Et si on remonte dans l’histoire et déplie les vielles cartes, pour moi la Tunisie et l’Algérie constituent un seul et même pays. Quant au Nord, c’est l’Europe, demeure de la grande œuvre de l’esprit, pour reprendre les mots de Hegel, le même qui écrit : « Maintenant que nous avons quitté l’Afrique, nous entrons pleinement dans la grande histoire. » Le Nord, c’est ce nord qui fait le malin parce qu’il détient les concepts, les théories et l’art de représenter tous les autres. Un exemple : Le printemps arabe est une expression inventée à plusieurs milliers de kilomètres de Tunis, dans le Nord. Donc, elle n’est même pas une expression arabe. Mais pour revenir l’essentiel, j’apprécie la chèvre, un animal que je connais bien, et j’ai une haute opinion de la femme arabe, celle qui peine, c’est-à-dire travaille pour un salaire minable, et celle qui pense.
Une phrase revient souvent : « Le poète de la Rivière qui coule vers le haut ». Est-il question d’aller à contre sens ou vous voulez transmettre une autre vision ?
Ah la Rivière qui coule vers le haut ! Elle est poétique. Utopique même, à l’image de mon roman. Elle coule vers le haut parce qu’elle raconte la carte, la géographie et le sens de l’histoire. Elle dit l’Algérie (que j’appelle Pays-Têtu dans le roman). Au fond, il y a l’Algérie de Camus et de ses disciples, nombreux, impossible même à les lister, tellement ils sont nombreux, et mon Algérie à moi.
À la page 338 vous écrivez : « Tu as échappé à l’islamisme, au terrorisme, au salafisme, au barbare et à une surenchère langagière tentant d’identifier le mal du siècle naissant, à l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, bref, au début d’un nouveau cycle de destruction du Moyen-Orient, cet Orient pas si compliqué, un immense territoire dirigé par des hommes qui ont érigé le mépris des leurs comme premier principe du gouvernement ; oui mon petit frère, tu as échappé à la lente destruction de la Mésopotamie et à l’interminable défaite arabe ». En quelques mots, dans quelle mesure pensez-vous que le monde arabe est responsable de sa défaite ?
Dans Sept morts audacieux et un poète et un poète assis, il y a cette république unique au monde qui se fonde sur deux vertus : l’estime des siens, c’est-à-dire du peuple, et la justice sociale. Je pense que ce qui détruit les pays arabe depuis un bon moment c’est la haine de soi, il n’y a qu’à regarder la situation libyenne, la Syrie, le Yémen, l’Irak, etc.
L’idée centrale de votre livre Sept morts audacieux et un poète audacieux rappelle le thème de votre précédent essai La France est à refaire dans le sens où un peuple est gouverné sans être aimé. Pensez-vous que le fait de gouverner mène inéluctablement à l’exclusion du peuple ?
Ah le peuple ! Tout d’abord, je suis un enfant du peuple, fils d’une mère analphabète et d’un père qui lit un peu. Ce peuple-là, je ne peux pas m’en détacher, il est comme le Nord-Ouest de la Tunisie, il m’a donné à vivre, c’est lui qui m’inspire aujourd’hui, me donne à penser, à écrire. Sans le peuple, Platon serait un fantassin quelconque dans l’armée athénienne. Sans le peuple, toute la philosophie politique s’effondre. Sans le peuple, aucune controverse possible sur le meilleur régime politique. Sans le peuple, on ne parlerait pas de populisme. Sans le peuple, il n’y aurait même pas de chaînes d’info en direct et de communicant. Mais le peuple est là, toujours présent. J’ose espérer que je l’ai ressuscité sans le trahir.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi