Le dernier roman de Fouad Laroui1, Les tribulations du dernier Sijilmassi2 est une réflexion sur l’homme et de ce qui peut lui traverser l’esprit aspirant au changement. La citation de Goethe: « celui qui aujourd’hui ne se retire pas entièrement de ce bruit et ne se fait pas violence pour rester isolé est perdu » sert de prélude au roman. Nous sommes face à une histoire où le personnage principal Sijilmassi revient dans son village natal, Azemmour. Ayant décidé de démissionner, il a perdu par la même occasion son épouse et son logement : « Il allait falloir réduire les dépenses, vivre de façon plus frugale, être « regardant ». Le salaire de ce mois de mars allait être le dernier » On n’est pas en Suède, il n’y a pas d’allocations chômage ici »3 .

Dans cette nouvelle vie où il considère que la tranquillité règne loin du monde de la modernité : « Eh! Bien ce serait une vie simple et tranquille…chaque matin ressemblerait au précédent, à celui qui viendrait, à tous les matins du monde. On se nourrit peu, mais sainement, de légumes cueillis au potager, de fruit pris sur l’arbre, de lait, de dattes. On ne craint pas de rester immobile, des heures durant. On consume ses heures en d’austères études, comme le hadj Maati »4, il devient le sujet de toutes les conversations. A ce titre, non seulement il est critiqué mais certains se permettent même de venir chez lui pour donner des leçons relevant de la religion, ce qu’il déplore: « La religion naturelle, c’est celle dans laquelle je dois d’abord savoir que quelque chose est un devoir avant de la reconnaître comme un commandement divin ». C’est le philosophe de Königsberg qui parle. Emmanuel Kant…Son diplôme de doctorat, décroché en 1755, porte en première ligne ces mots en arabe! « La ilâha illa llah, il n’y a de dieu que Dieu». L’université allemande reconnaissait l’éminence de la science et de la pensée arabe (Il fut un temps où l’on nous prenait au sérieux)5. D’un esprit cartésien, Sijilmassi n’arrive pas à comprendre toute la variété de l’islam: « (…) Je constate que chacun est persuadé que sa façon de pratiquer l’islam est la seule valable; en d’autres termes, que c’est lui qui connaît le vrai islam. Moyennant quoi, ce sont des dizaines de religions qui revendiquent ce nom, comme si des dizaines d’individus prétendaient s’appeler Archibald Pompon, et en plus, être le seul, l’unique, le vrai Archibald Pompon. C’est pourquoi, je te demande : quel islam, quand tu me parles de « l’islam »? -Archibald Pompon? -Laisse tomber, c’est juste une image. Mais ma question est sérieuse6 . Dans ce questionnement Sijilmassi est Esseulé: « Je veux habiter sous la terre/comme dans son sépulcre un homme solitaire»7. La solitude est devenue la seule issue pour ne pas lutter contre les ignorants: « On ne gagne pas contre celui qui refuse le combat, contre celui qui a renoncé ». Lamia Bereksi Meddahi (L’initiative) 1Auteur marocain et professeur à l’université d’Amsterdam Il a eu le prix Goncourt de la nouvelle en 2012. 2Fouad Laroui, Les tribulations du dernier Sijilmassi, Ed/Julliard, 2014. 3Id, p. 107. 4Ibid, p. 157. 5Ibid, p. 169. 6Ibid, p. 246. 7P. 321.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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