Le sel de tous les oublis[1] de Yasmina Khadra[2] paru aux éditions Julliard est le roman qui suit L’outrage fait à Sarah Ikker (2019) prend comme personnage principal Adem Naît-Gacem. Son épouse Dalal l’a quitté pour aller avec son amant. Un sentiment d’abandon l’envahit, il décide de démissionner de son poste d’instituteur et de libérer le logement fonction. Il a fait des rencontres qui lui ont quelques fois fait oublier ses peines et d’autres ont fait surgir tout ce qui était enfoui.

Tout au long de la lecture, l’histoire de Adem et Dalal se perd pour laisser place aux déboires et à la corruption qui mine le pays. Les sentiments d’Adem sont très ambigus. Tantôt il est triste et tantôt il se laisse aller vers des plaisirs. Si ses péripéties sont mises en exergue en parcourant l’histoire de l’Algérie à la veille de l’indépendance, il reste des zones d’ombre quant au vrai statut accordé à la femme. Comment prétendre qu’elle emporte le monde avec elle si aucun pouvoir ne lui est concédé quand elle est présente ? Et pourquoi Adem se contente-t-il de dire « Mon épouse est partie avec son amant » sans manifester aucune réaction ?

Dire on partage le sel stipule le partage des moments précieux ensemble. Cette expression qui relève de la culture populaire met le lecteur dans l’univers du couple Adem et Dalal. Puisque les chagrins sont racontés, ils deviennent à l’image de ce qu’a écrit Karen Blixen : « Tous les chagrins sont supportables si on en fait une histoire ». L’histoire de Adem vacille entre le vide laissé par une épouse qui a décidé de partir et un pays qui cherche ses points de repère après l’indépendance. Adem parcourt des villes et fait la connaissance de nombreux personnages qui se proposent de l’aider, à l’instar de Mekki. C’est avec Hadda, l’épouse de ce dernier que les sentiments remontent en surface. Des interrogations s’imposent quant au sens de l’amitié, de la fidélité.

Puisque Adem quitte le travail et le logement de fonction, il est donc dans une situation de désespoir total. Pourquoi l’auteur écrit : « Il est convaincu que sa femme avait fait le bon choix, et que Hadda devrait faire autant » ? (p. 242)

Dans une langue poétique, Yasmina Khadra décrit des lieux, des personnages, des états d’âme. La parole n’est pas accordée à Dalal pour expliquer les raisons de son départ avec son amant. Elle n’emporte pas le monde avec elle mais témoigne du besoin de l’homme à exercer son pouvoir sur tous les fronts. Le comportement de Adem à l’égard de Hadda le prouve. C’est dans ce sens que dans les romans de Yasmina Khadra, la femme est vue à travers le regard de l’homme, que dirait-elle si la parole lui était donnée directement ?

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Yasmina Khadra, Le sel de tous les oublis, Ed/Julliard, 2020, 255 pages.

[2] De son vrai nom Mohamed Moulessehoul, il est né en 1955 à Kenadsa (Algérie). Prolifique, Il est l’auteur   entre autres de L’attentat (2005), Les sirènes de Bagdad (2006), Ce que le jour doit à la nuit (2008).  

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

Read previous post:
Interview exclusive avec Jules Aillaud : 3ème partie – Le créateur audacieux

Parcourir le monde en quête de savoir et d'aventures, réaliser ses rêves les plus fous et ne reculer devant rien,...

Close