Dans son nouveau roman Otages, Nina Bouraoui raconte le ressenti de Sylvie Meyer, femme de cinquante- trois ans. Elle a deux enfants dont elle s’occupe. Du jour au lendemain son mari a décidé de quitter le domicile conjugal. Elle n’a manifesté aucune colère, aucun chagrin, aucune peine. Telle une soupe ses pensées tourbillonnaient dans sa tête. Partagée entre le travail dans l’entreprise de caoutchouc et la douleur taciturne du vide, Sylvie était au bord de l’explosion.

C’est la nouvelle responsabilité que lui a imposée son patron Victor Andrieu qui l’a fait basculer dans un vrai délire. Commettre ce qu’elle ne pensait jamais être capable de faire. Au creux du désespoir elle a laissé éclater sa colère au point de se retrouver dans une prison.

Les blessures enfouies :

En lui accordant des responsabilités, Sylvie considère que : « J’avais cru que j’avais gagné en dignité. J’étais devenue quelqu’un, j’existais, alors que c’était tout le contraire. Je suis devenue une moins que rien. Je suis devenue ce que je déteste chez les autres, ceux qui profitent du malheur et qui en tirent satisfaction »[1]. Ce pouvoir entre les mains a fait perdre la tête à Sylvie. Elle n’était plus en harmonie avec elle-même. Un grand décalage s’est créé entre ce qu’elle endurait et le pseudo-pouvoir qui lui était accordé. D’un côté son mari l’abandonne et de l’autre côté le patron la met dans une situation où elle doit épier les moindres gestes des employés. Ce déchirement qu’elle vit intérieurement lui fait aussi rappeler des souvenirs très douloureux. Le fait d’avoir été abusé sexuellement dans des conditions humiliantes a fortement contribué à lui faire perdre l’estime d’elle-même. Ne pas se voir comme une personne qui mérite l’amour et le respect mène inéluctablement à un « laisser-aller ». Cet état de fait alimente la haine des autres jusqu’à ce que les réactions deviennent explosives. Sylvie devient le socle dans lequel les frustrations s’accumulent.

Dans une écriture fluide Nina Bouraoui entraine le lecteur dans un mouvement où les interrogations s’enchainent. La prison n’est-elle pas un abri ? Le cœur n’est-il pas pris en otage quand il n’arrive pas à s’exprimer ? Les responsabilités protègent-elles du dérapage ? Le subconscient n’est-il pas le volcan qui risque à tout moment de se réveiller ? La liberté réside-t-elle entre les mains de l’amour ?

Otages reflète les différents enfermements dans lequel peut être prise la personne et la manière quelle déploie pour se défaire des jougs de la souffrance.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Nina Bouraoui, Otages, Ed/JC lattes, 2020, p. 60.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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