Il ne jaillit ni de la mer, ni même de la terre, plutôt de la cendre des mémoires damnées par les années de plomb où la parole était muselée et le geste ankylosé, la peur au quotidien et l’autre soi-même comme ombre redoutable. Le terrorisme de la décennie noire associé au mal-vivre jalonné par le pouvoir en place et durant sont merveilleusement relatés dans ce splendide roman portant douloureusement « Les couleurs du destin » comme titre.

Publié en janvier 2020 aux éditions Sefraber (Editions Franco-Berbères) sous l’empreinte de « Tumast Tazrigt Amazigh » dirigées par Monsieur Julien Pescheur et écrit par le duo Guerchouche Leulmia et Benkherief Kamel, « Les couleurs du destin » parle des douleurs du destin et du réel dans un surréel intimement consommé. D’une écriture ouverte ayant rouvert les déchirures pansées, le lecteur retrouve et revit par des mots crus le vécu d’une jeune innocence frôlant la fleur de l’âge.

Les scènes se déroulent, en grande partie, à Zouggara (Boumerdès) dans le village natal de Saïda, et aussi à Alger, à l’université où celle-ci poursuivait ses études. Saïda est au cœur de ce verbe sensible et passionnément lié à son sort. En demeurant subséquemment concentré sur son personnage principal et dans les métaphores architecturales du texte, ledit verbe doué de liberté agit dans la réciprocité et dans l’obligation de son initiatrice à s’affirmer, et ce, malgré les bleus et les entraves que la vie lui infligeait, elle doit continuer à construire et à façonner difficilement son anticipation et émancipation. Le seul baume au cœur auquel elle s’inclinait reste son oreille qui s’accoutumait à entendre vanter sa beauté et sa pureté, le reste n’était que langage laconique aux reflets qui l’interpellaient. Au fil de la lecture de ce récit sobre, puissant et lucide, on se laisse, de bon gré, envahir l’esprit par l’arrogance et la moisissure de ce régime décisionnaire et totalitaire allant de pair avec les sanguinaires et les broyeurs des corps et des consciences. Cette permissivité en soi n’est nullement une tolérance, plutôt une extériorisation inconsciemment voulue d’une âme cherchant à peser le tort et le bienfait sur une balance des ères modernes. Dire que tout ce qui est contraire aux convenances sociales est à bannir voire à vomir… Le mariage forcé auquel elle avait échappé de justesse en allant se blottir dans les bras d’un inconnu et sous l’égide d’un toit choisi pour elle, restera hiberné dans sa mémoire tant que les courants d’air de souvenirs étaient endormis, mais qui se réveilleraient au moindre chagrin.

La bonté et la volonté ont fait de Saïda une battante sachant résister aux attaques du temps. Bien que ses penchants obéissaient parfois aux préjugés sociaux mais son œil demeurait toutefois sec face à tout ce qui lui froissait le cœur. C’est ainsi qu’elle se ressaisissait en prenant le dessus sur tout. Réceptive, elle écoute comme elle dénote le silence ; elle démasque comme elle met au pied du mur les questions taboues. Rien n’échappe, en somme, ni à elle, ni aux auteurs du roman accompagnant sa voix et l’accompagnant sur sa voie. Les non-dits et la parole des minorités, celle des sans-voix et celle des sans-dents, l’espoir renouvelé et les projections redimensionnées, tout ceci se lit d’une traite en nous invitant au voyage reliant son village natal à Boumerdès où elle s’est décomposée à Paris où elle cherche à se recomposer.

Mohand-Lyazid Chibout (Iris)

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