Le roman L’espionne1 qui vient de paraître revisite la vie de Maha Tari2. Paulo Coelho écrit : « Les souvenirs sont pleins de caprice, de choses que nous avons vécues et qui peuvent encore nous étouffer avec un simple détail ou un bruit insignifiant. Une odeur de pain en train de cuire monte jusqu’à ma cellule et me rappelle les jours où je me promenais libre dans les cafés ; cela me détruit plus que la peur de la mort et de la solitude dans laquelle je me trouve »3.

Le piège et la fin d’une vie

Manipulée et devenue le bouc émissaire du capitaine Ladoux : « Qui vous avait utilisée dans sa bataille interne avec d’autres collègues pour assurer la direction du service de contre- espionnage »4, Mata Hari ne s’est pas rendu compte du piège. Une femme qui était connue par son côté artistique a eu l’occasion de connaître Pablo Picasso et Amedeo Modigliani : « Chaque fois que Picasso terminait ses longues et incompréhensibles dissertations sur les révolutions qui se produisaient dans l’art, je me tournais vers Modigliani et cela semblait faire enrager l’Espagnol »5 . Du succès rencontré lors des spectacles, Maha Tari se retrouve prisonnière d’un complot : « Cependant vos accusateurs commençaient à désespérer parce qu’ils n’avaient rien trouvé dans les objets qui vous appartenaient qui puisse vous incriminer (…) Les arguments du commissaire de la République, M. Mornet, frisaient le pathétique. « Zelle est le genre de femme dangereuse que nous voyons de nos jours. La facilité avec laquelle elle s’exprime en plusieurs langues, spécialement en français, ses nombreuses relations dans tous les domaines, sa manière subtile de s’insinuer dans les réseaux, son élégance, son intelligence notable, son immortalité, tout cela contribue à en faire une suspecte potentielle »6. Une femme qui « a été accusée injustement d’espionnage »7 et qui de surcroît : « a osé défier certaines coutumes, ce qui est impardonnable »8 ne trouve personne en mesure de la défendre : « Les anciens amants, sans aucune exception, ont tous nié vous connaître. Même le Russe dont vous étiez amoureuse, et pour lequel vous étiez prête à vous mettre en danger, est apparu au tribunal avec un œil encore bandé et a lu en langue française le texte de sa déposition, une lettre qui avait pour seul objectif de vous humilier en public (…). Les juges ont entendu de Bouchardon des phrases du genre : « Dans la guerre des sexes, des hommes, aussi experts qu’ils soient dans de nombreux arts, sont toujours facilement vaincus (…) Dans une guerre, le simple contact avec un citoyen d’un pays ennemi est déjà suspect et condamnable »9. La vérité finira un jour par éclater : « Vos accusateurs porteront des croix beaucoup plus lourdes. Même si aujourd’hui ils rient et se félicitent, un jour viendra où toute cette farce sera démasquée (…) Ils savent au fond d’eux qu’ils ont condamné une innocente parce qu’ils avaient besoin de distraire le peuple, de même que notre révolution, avant d’apporter l’égalité, la fraternité et la liberté, a dû mettre la guillotine en place publique pour divertir avec du sang ceux auxquels le pain manquait encore »10.

Une femme qui jouit ouvertement de sa liberté finit souvent par être rattrapée par la dictature des hommes. Mata Hari qui a eu plusieurs identités : « Connue autrefois sous un nom choisi par ses parents, Margaretha Zelle, ensuite obligée d’adopter son nom d’épouse, Madame McLeod, puis finalement convaincue par les Allemands en échange de misérables vingt mille francs de se mettre à signer tout ce qu’elle écrivait sous le code H21 »11 n’a pas pu prouver qu’elle n’était pas espionne puisque : « vous étiez beaucoup plus attachée à montrer votre importance qu’à défendre votre innocence »12.

Lamia Bereksi Meddahi

 

1 Paulo Coelho, L’espionne, Ed/Flammarion, 2016,

2 De son vrai nom Margaretha Geertruida « Grietje » Zelle, est une danseuse néerlandaise. Elle est née le 7 août 1876 à Leeuwarden et morte le 15 octobre 1917 à Vincennes. Soupçonnée d’espionnage, elle fut fusillée pendant la Première Guerre mondiale.

3 Paulo Coelho, L’espionne, Ed/Flammarion, 2016, p. 23.

4 Id, p. 161.

5 Ibid, p. 73.

6 Ibid, p. 162

7 Ibid, p. 170.

8 Ibid

9 Ibid, pp : 170-171.

10 Ibid, p. 173.

11 Ibid, p. 140.

12 Ibid, p. 160.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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