Maryam Madjidi a eu en 2017 le prix Goncourt du premier roman intitulé Marx et la poupée[1].

Au tout début, l’auteure cite un proverbe tibétain : « La patrie n’est qu’un campement dans le désert » puis un poème de Nâzim Hikmet :

« La vie n’est pas une plaisanterie,

Tu la prendras au sérieux,

Mais au sérieux à tel point,

Que les mains liées, par exemple dos au mur,

Ou dos dans un laboratoire en blouse blanche,

Avec d’énormes lunettes,

Tu mourras pour que vivent les hommes,

Les hommes dont tu n’auras même pas vu le visage.

Et tu mourras tout en sachant que rien n’est plus beau,

Que rien n’est plus vrai que la vie ».

Après six années de la révolution iranienne, l’heure a sonné pour Maryam de partir en France. Contrainte de donner sa poupée aux enfants de Téhéran sous la pression de ses parents communistes, elle était triste, ne comprenait pas les raisons de ce geste imposé. Accompagnée par sa mère, elle a rejoint le père en exil à Paris. La petite fille a mis ses pieds dans un univers où les différences avec son pays natal sont tangibles : « Mon père a acheté des « croissants » à la boulangerie d’en face. Il les étale soigneusement sur la table en expliquant que les Français prennent ce genre de choses au petit déjeuner. Il nous fait répéter leur nom pour qu’on le retienne. Ma mère n’en mange pas, moi non plus. Elle n’a pas faim. Moi, j’ai faim mais je veux du lavâsh, ce pain iranien blanc fin qu’on dirait du papier, ou du nouné-singaq[2], un autre pain plus épais qu’on fait cuire dans un four sur un lit de pierres brûlantes, parfois une ou deux pierres restent accrochées au pain. Je veux aussi du thé noir et du panir-éTabriz[3]. Je le dis à mon père. Il soupire et se fâche. Ici, on est en France, je ne peux pas descendre dans la rue et vous acheter ces produits, il faudra vous habituer. On n’est plus en Iran, alors faites-moi plaisir, mangez ce que je viens d’acheter »[4]. D’une ville à une autre, d’un pays à un autre, les saveurs rappellent les sources et les origines. Ne reste que la poésie pour contrer les douleurs qui proviennent de l’absence.

L’auteure cite continuellement le poète Omar Khayyâm[5] :

« Le clair rayon de la lune écarte la robe de la nuit,

Bois tu ne trouveras plus un instant aussi propice,

Sois heureux et sans souci car cette lune que tu vois,

Déversera sa pâle lumière bien des nuits »[6].

Comme deux béquilles, le texte s’appuie sur le pays d’accueil et l’Iran. Il conduit le lecteur, dans une narration poétique, à explorer la mer qui dilue toutes les différences.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Ed/Le nouvel Attila, 2017.

[2] En bas de page, l’explication est mentionnée comme suit : « En persan, singue veut dire « pierre » donc littéralement « pain de pierre ».

[3] De la feta iranienne.

[4] Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Ed/le nouvel Attila, 2017, p. 95.

[5] Poète né le 18 mai 1048 et décédé le 4 décembre 1131 (dates approximatives).

[6] Id, p. 66

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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