Savez-vous qu’est-ce que c’est un travailleur de corridor ? À l’instar d’un travailleur de rue qui arpente les rues d’un quartier ou d’une ville à la recherche des gens en difficulté pour les écouter et leur prêter main forte, les travailleurs de corridor font de même à l’intérieur d’une institution post-secondaire, ici un cégep. Effectivement, c’est ce qu’explique Mohamed Mimoun (dit Momo), travailleur de corridor au Collège de Maisonneuve : « Tout le monde s’attendait à ce qu’on trouve quelque chose, mais nous, nous avons juste trouvé des jeunes ; des jeunes avec leurs problèmes qu’ils vivent au quotidien, mais aussi avec de bonnes choses à partager ».
Mais, pourquoi le Cégep de Maisonneuve s’est-il doté de ce genre de « travailleurs » ? En avril 2015, deux ex-élèves issus de la communauté arabe de ce collège ont été accusés d’avoir tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l’étranger sous la direction du groupe terroriste, l’État islamique (EI). Ils ont plaidé non coupable. Comme ils avaient 18 ans au moment des faits, ils ont été jugés comme des adultes. La direction du Cégep cherchait à comprendre les sources de leur « radicalisation ».
Le documentaire Maisonneuve – À l’école du vivre-ensemble, signé par les réalisateurs Emmanuelle Walter et Nicolas Wadmoff, retrace ces événements, mais ce dernier ne les aborde pas de front. En effet, le but n’est pas tant de raconter l’histoire du comment ces jeunes se sont radicalisés et ont décidé d’aller rejoindre l’EI, mais plutôt de comprendre leur vie au sein de cet établissement post-secondaire qu’ils ont fréquenté. Le résultat ? Un portrait contemporain de notre jeunesse qui est tout aussi émouvant que fascinant. Le film est touchant parce qu’on voit ces jeunes vivre une transition et une mutation majeures, celles de devenir des adultes, et fascinant parce qu’au milieu de ces tensions propres à cette jeunesse en quête d’identité, on observe également comment ils apprennent les rudiments de la vie politique et de la vie en société. Et ça, ce n’est pas rien dans notre monde actuel où les dérives autoritaires sont de plus en plus fréquentes, car quand on parle de vie en société, on parle de vivre-ensemble, de dialogue, de débat et, en fin de compte, de démocratie.
Le film examine également la question de la diversité, mais étant donné les événements survenus en 2015, il ne se concentre que sur nos jeunes issus de la communauté arabe, nés ici. Il est ainsi inévitable de rentrer dans des questions identitaires et des enjeux concernant le « nous » et le « eux ». Et ces tensions, on les voit émerger par exemple entre l’exécutif de l’association étudiante du Cégep et ces jeunes qui s’organisent afin de participer dans les décisions qui y sont prises. On y entend parler d’identité, de représentativité, mais on parle également de politique, de « gauche », de « droite », de la défense des intérêts des étudiantes et des étudiants. Bref, on parle démocratie.
La caméra suit de cette manière Adam, Rachel, Rayenne, Idir, Kaëlla et Angel. Et à partir de leurs discussions et leurs témoignages, on se rend compte que les conflits et les tensions ne font pas seulement partie de la vie, mais qu’ils sont aussi nécessaires pour mieux se comprendre et avancer. Ainsi, en plus de nous montrer une école, Maisonneuve nous permet d’observer un laboratoire où on expérimente concrètement le vivre-ensemble, ce concept philosophique qui peut parfois nous échapper à cause des aléas de la vie, et on voit émerger par le fait même le Québec de demain.
Maisonneuve – À l’école du vivre-ensemble | Réal : Nicolas Wadimoff et Emmanuelle Walter | Québec, France, Suisse, 2020 | Long métrage documentaire | Français | 90 min
Maisonneuve a été présenté en première québécoise lors des Rendez-Vous Québec Cinéma qui a eu lieu à Montréal du 26 février au 7 mars 2020.
Eduardo Malpica Malpica