Lamia Bereksi Meddahi, romancière et auteure de la première thèse de doctorat écrit à partir de sa propre expérience. C’est de ce point d’ancrage qu’elle traite des problèmes relatifs aux femmes de sa génération. Le roman Mesquina dresse un bilan de l’aveu, de la parole tant retenue au cœur du personnage, une parole critique qui explique et analyse les moindres choses. Le roman ne prétend pas défendre les difficultés des femmes mais de discuter des questions liées à la société, au pays natal L’Algérie. La notion du déchirement intérieur dont souffre le personnage principal s’avère un thème récurrent chez la romancière qui l’a déjà expérimentée dans son premier roman La famille disséminée (Marsa, 2008).

On l’appelle Mesquina, à cause de tous les sens que cela suppose. Pour évacuer ce qui ronge son cœur, elle pleure mais pas de n’importe quelle manière. Elle s’assoit sur un fauteuil en velours. Elle l’a acheté spécialement pour recueillir la pluie qui se déverse de ses yeux. Une fois bien installée, elle tire du placard trois mouchoirs. Le premier de couleur blanche sert à ne sécher que quelques gouttes. Le deuxième, de couleur verte, elle s’en sert dans le cas où la vitesse augmente. Et le rouge, s’il y a inondation. Une fois tous les ingrédients réunis pour se lancer dans l’exercice des lamentations, elle ouvre le robinet. Nonobstant toute la mise en scène, aucune goutte ne coule de ses yeux. C’est à croire que la crise régnante lui recommande d’économiser ses larmes. 

Selon Lamia Bereksi Meddahi le rapport de la femme à l’écriture est un rapport de communication et non de séparation, c’est-à-dire elle trouve dans l’écriture un terrain fertile et un moyen de sortir de sa carapace étroite, et d’enlever l’infériorité que lui porte la communauté masculine. Son roman s’annonce féminin : ce féminisme utilise un langage féminin particulier, et il vaut mieux plonger dans leurs profondeurs intérieures de la véracité et l’expression pour déceler les mécanismes de cette langue. Dans Mesquina, on est face à une identité au sens général du terme, une identité passée entre deux pays, elle renvoie à la subjectivité du personnage et à sa réflexion permanente. Mesquina est venue créer son identité féminine à travers laquelle elle cherche un soi, son existence et son identité longtemps cachée.

Le roman souffle une dimension socio-culturelle, car on constate qu’il s’inscrit dans une réalité vivante, il s’agit d’un sujet récurrent dans la littérature contemporaine. Partir de son pays natal et par la suite vivre les répercussions et les conséquences du déchirement identitaire. Dans ce sens, LBM tente de révéler l’identité de la femme, car la femme, du fait de la culture masculine et du fait de la nouvelle prise de conscience de sa sexualité, découvre un être fragile attiré par les passions.

Le sable que j’ai ramassé a échappé entre mes doigts. Il m’a fait rappeler l’histoire de cette vie qui file à une allure vertigineuse. Elle nous oriente parfois et nous désoriente souvent. Elle nous berce avec les illusions de l’éternité. On sait que rien ne dure mais on préfère croire le contraire. Alors on nargue les misérables, les malades, les dépourvus. Avec un air hautain nous marchons avec l’assurance d’un oiseau qui pense, dans son envol, ne jamais se poser sur terre. Nos pas font du bruit et dérangent les autres mais nous restons sourds face à cette réalité. Nous tournons le dos et avançons jusqu’à ce que la vie commence à faire la dictée de nos faiblesses. Celui qui ne sait pas écrire fait des erreurs et celui qui sait écrire n’oublie jamais que l’éternité reste entre les mains de celui qui rédige.

On peut aussi évoquer le défi auquel fait face Mesquina à l’intérieur du corps était une revanche pour la mémoire saturée de masculinité, à travers son objectif d’abandonner certaines de ses valeurs et principes, à travers ce point nous constatons que l’écrivaine a voulu exposer et révéler le rideau derrière lequel se cache l’homme.

Tous les hommes s’attèleront à leur devoir quand les femmes prendront conscience de leur pouvoir. Le monde tremble quand la femme est en colère ! Un mari sale n’a rien à faire à la maison ! Un mari fainéant n’a rien à faire à la maison ! Un mari qui frappe n’a rien à faire à la maison ! Un mari imbu de lui-même n’a rien à faire à la maison ! Un mari trop proche de ses sous n’a rien à faire à la maison ! Un mari qui ne demande qu’à être servi n’a rien à faire à la maison ! Un mari dictateur n’a rien à faire à la maison ! Un mari qui se comporte comme un maître en prenant la femme comme son valet n’a rien à faire à la maison ! Un mari qui ignore sa femme n’a rien à faire à la maison ! Le comportement de l’homme avec son épouse reflète sa vraie nature, à l’image de ce qu’a dit Marek Halter : Dis-moi comment tu es avec ta femme, je te dirai qui tu es. 

La romancière s’interroge sur le regard et l’image de la femme au sein d’une société qui regarde les femmes avec mépris et infériorité, c’est aussi un refus de cette image figée et taxée de déficiente en esprit. Le personnage principal Mesquina excelle à dépeindre les situations sociales dans lesquelles s’inscrivent ces identités, à savoir la femme divorcée, l’épouse, l’instruite, la mère, l’amante.

Elle a répondu à nos questions lors de cet entretien

L’initiative : Pourquoi le choix du titre ?

Lamia Bereksi Meddahi : J’ai choisi le titre Mesquina pour montrer que le qualificatif utilisé mesquina mérite qu’on s’attarde dessus, pour qu’on comprenne son impact sur la personne. Le vrai prénom du personnage est Ghania, c’est-à-dire riche mais elle est devenue pauvre à force d’être vue qu’à travers le regard des autres. 

Qui est Mesquina ?

Mesquina est celle qu’on considère comme pauvre. Désignée par les autres, ce mot permet de comprendre comment le locuteur considère ce dont il parle. Dans la société arabe, en terme général « mesquina » est pauvre voire celle qui fait de la peine. J’ai souvent entendu ce mot dans des phrases qui n’ont aucun sens : « Mesquina, elle vit dans une grande maison… mesquina elle n’a que des filles….mesquina elle n’a que des garçons…..mesquina elle était très contente. Il y a des instants où le mot « mesquina » n’a pas lieu d’être mais on le prononce quand-même. Ce mot devient la désignation du regard que porte le locuteur sur ce dont il parle.

Pourquoi « elle se souvient de tout ce qui n’allait pas », comme on lit dans le roman ? 

Mesquina se souvient de tout ce qui n’allait pas parce que cet état lui permet de confirmer son choix, à savoir partir ailleurs.

La femme est-elle une Mesquina ? 

La femme n’est mesquina qu’aux yeux de ceux qui veulent l’écraser. Elle n’est pas mesquina mais fragile dans une société qui refuse de mettre en pratique ses droits.

Quelle est la place de l’homme dans le roman ?

Dans le roman, l’homme est vu comme opposé à la femme. Presque toutes les femmes parlent de ce qu’elles subissent de la part du père, du frère, du conjoint.

Est-ce que l’écriture romanesque Maghrébine peine à sortir des thèmes récurrents : l’identité, le tiraillement entre deux mondes, la nostalgie ? 

L’écriture maghrébine est tributaire de la référence de l’auteur. A partir d’où écrit-il ? Cet état de fait détermine forcément le thème traité. L’identité, le tiraillement entre deux mondes, la nostalgie ne sont pas les seuls sujets.

Dans votre roman Mesquina, on ressent une peur grandissante vis-à-vis de l’Algérie que vous qualifiez de « pays délaissé ». Conservez-vous une idée pessimiste de votre pays ou s’agit-il d’un refus de la situation actuelle ?

L’Algérie est un pays où tous les paradoxes cohabitent : Le beau- le laid, le propre-le sale, le grand-le petit, le lettré- l’inculte. Ils se côtoient sans qu’aucun ne puisse déterminer sa vraie place. J’avoue avoir beaucoup de peine à voir dans quel état se trouve mon pays. Je mets l’accent sur ce qui se cache derrière ce qu’on voit.

Le roman finit par un bref poème : 

(…) Un pays appartient à ceux qui l’aiment, 

Et à ceux qui ne le laissent pas mourir. 

Quel sentiment réside entre l’amour et la mort d’un pays ? Est-ce une mort figurée ?

Un pays appartient à ceux qui l’aiment et ne le laissent pas mourir. Aimer son pays c’est trouver un plaisir à ne pas salir, ne pas voler, ne pas le dépouiller de ses richesses. Ne pas le laisser mourir c’est savoir en prendre soin, savoir donner le meilleur pour ne pas le laisser périr.

Après votre premier roman La famille disséminée, quelle différence de narration vous pensez ajouter dans votre roman Mesquina ?

C’est au lecteur de définir la différence entre La famille disséminée et Mesquina. Quand j’écris, l’unique chose qui m’intéresse c’est de rester à l’écoute de ce qui me préoccupe.

Propos recueillis par Mountajab Sakr

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