La cinéaste algéro-canadienne Sara Nacer est revenue dans sa ville natale, Alger, pour documenter la Révolution blanche ou du sourire. Son film documentaire présenté au Festival international de cinéma Vues d’Afrique de Montréal (36ème édition) s’est interrogé principalement sur la genèse de cette révolution que personne n’a vue venir et qui, depuis, impressionne le monde par son pacifisme et sa longévité (suspendue à présent en raison de la crise de coronavirus).

Un appel de cœur, un voyage pour vivre un moment historique !

Rien de mieux pour prendre le pouls de la révolution que d’aller à la rencontre de ceux et de celles qui la font et la vivent au quotidien. C’est ce que Sara Nacer a fait à travers son voyage en Algérie qui est, en effet, plus qu’un travail de terrain pour documenter un événement historique. C’est un appel de cœur, un périple engagé pour vivre un moment inédit et historique que beaucoup d’Algériens n’auraient pas cru vivre un jour! Elle-même, avoue-t-elle, était sceptique à l’idée qu’un jour Alger, la Mecque des révolutionnaires, serait le foyer d’une nouvelle révolution !

Un documentaire engagé

Le travail de Sara Nacer s’inscrit dans le documentaire engagé qui s’appuie sur certains éléments qui le définissent tel quel. La dimension engagée de son film est incarnée par la figure de narration qu’elle a choisie. Il s’agit, en effet, de la narration de « proximité », comme si c’était son voyage intime, voire conter une histoire qui la concerne ! Cette dimension est représentée également par le contenu du récit et la voix-off employée pour sa lecture. C’est la voix de la scénariste qui, par son intonation, sa sensibilité et les émotions qu’elle exhale, donne tout le sens voulu au message transmis, à savoir une Algérie authentique et rebelle, portée par le Hirak (mouvement en arabe), aspirant au changement!

Cette authenticité se manifeste à travers les témoignages recueillis en donnant la parole à un échantillon d’acteurs du Hirak aux profils variés : artiste, militant-activiste, journaliste, étudiants, entrepreneurs… La réalisatrice est allée les rencontrer à Alger et dans deux villes limitrophes, Tipaza et Boumerdès. Une représentativité qui demeure restreinte par rapport au vaste territoire algérien où toutes les régions sont emportées par le Hirak. Les interviews sont réalisées dans des endroits différents (café, terrasse, bureau, appartement…), avec des plans fixes et exemptés de questions, ce qui donne à voir des témoins qui s’expriment librement dans un cours naturel. La matière livrée par ces témoignages est très intéressante et nous éclaire davantage sur la Révolution du sourire! Il appert principalement de ces témoignages une conscience politique aiguë, un optimisme confiant et une fierté intacte d’être Algérien !

Des rencontres pour comprendre !

La rencontre avec Sofiane, devenu l’icône du Hirak avec sa fameuse phrase, « Yetnahaw gaâ », (Qu’ils partent tous), symbolisant la revendication de tout un peuple, montre l’ampleur et la constance de cette conscience politique. Pour Fares Kader Affak, un activiste chevronné, cette conscience politique est un mouvement de la société qui s’inscrit dans le temps et se construit aux dépens d’une élite vivant à la marge de la société. Cet activiste témoigne aussi sur une jeunesse ayant fait ses preuves, capable de prendre les commandes du pays. Sur cette jeunesse, la réalisatrice nous présente des cas éloquents. Sofiane et Hani, deux jeunes entrepreneurs, porteurs d’idées créatrices dans les domaines touristique et agricole. Leur expérience montre le potentiel inouï de cette jeunesse marginalisée, méprisée et poussée à l’exil sur des embarcations de fortune (phénomène de Haragas, les migrants clandestins algériens, que la réalisatrice a mentionné dans son documentaire) par un pouvoir corrompu, qui a déployé une mainmise scandaleuse sur les richesses du pays (Klitou lebled ya serakine ! Vous avez pillé le pays, oh voleurs! Scande le peuple dans les rues d’Alger). Concernant la genèse de cette révolution, les étudiants des Beaux-arts interrogés nous livrent une explication pertinente. De surcroit qu’elle soit consciente, la génération actuelle, la locomotive du réveil algérien, n’a pas peur comme une partie du peuple traumatisé par la décennie noire, affirme un étudiant des Beaux-arts. Rencontré à Boumerdès, Hicham Gawa, alias El Moustach, l’initiateur du pop’art en Algérie, parle du rôle crucial joué par l’internet et les réseaux sociaux dans l’éveil du peuple. Pour le journaliste Khaled Drareni (actuellement dans les geôles du pouvoir), l’Algérie vit un moment historique et les Algériens se réapproprient leur pays. Ils ne sont pas endormis et croient que la démocratie peut aller de pair avec la stabilité en Algérie, explique-t-il. En tant que journaliste, il mène deux combats, exercer son métier avec professionnalisme et lutter pour la liberté d’expression dans un pays où la parole est bâillonnée et mutilée. Rencontrée dans son appartement haussmannien sur la rue Didouche Mouard au cœur d’Alger, transformée en un lieu d’art et de design, Hania parle d’un peuple qui a retrouvé sa fierté. Après l’image ternie par les medias et le dénigrement de soi, voici l’Algérien qui est salué partout dans le monde pour son pacifisme et son civisme, précise-t-elle. Ahmed Zitouni, un autre jeune artiste qui vit la révolution à sa manière en explorant le fin fond des régions du pays. Il distille dans chaque coin visité le beau et l’authentique qu’il promeuve sur internet et les réseaux sociaux.

Filmer en immersion

C’est dans les rues d’Alger que la caméra de Sara Nacer est allée capturer et immortaliser des scènes du Hirak. Elle a pris part aux manifestations en se faufilant dans la foule en quête d’images les plus expressives. Avec un air bon enfant, elle entrait en contact avec les manifestants pour comprendre les choses environnantes qui l’intriguaient. Le documentaire de Sara Nacer est friand d’images réelles de la Révolution du sourire, livrées telles quelles, sans la moindre altération. Des chants, slogans, drapeaux…et un peuple plus que jamais déterminé à libérer son pays d’un régime en déliquescence. Une détermination et une volonté inébranlables qui se manifestent dans le calme, la joie et la bonne humeur! Un constat extraordinaire que ce documentaire a restitué avec une simplicité visuelle intacte. Par ailleurs, la réalisatrice a fait recours aux images d’archives (guerre de libération, décennie noire, concorde civile…) pour mettre le téléspectateur dans le contexte historique d’une Algérie toujours mouvementée. Le moyen métrage de Sara Nacer est agrémenté aussi par le chant, devenu l’un des hymnes de cette révolution, à savoir Ultima Verba de Ouled El Bahdja et de belles images aériennes d’Alger la blanche, noire de monde, un contraste saisissant !

Et la contre-révolution ?

La caméra de Sara Nacer nous a offert des images inédites d’un peuple qui fait sa révolution dans le calme, la joie et la bonne humeur, mais la réalité est loin d’être un fleuve tranquille pour ces millions d’Algériens qui réclament un État de droit. La machine de répression du pouvoir algérien est bien huilée et mène une contre-révolution à tambour battant pour étouffer le Hirak ! Les moyens mis en œuvre par le régime algérien pour arrêter cette révolution sont de toutes les couleurs : répressions des manifestations, arrestations arbitraires et emprisonnements des militants et journalistes, censure des médias indépendants, fermeture des comptes et pages sur les réseaux sociaux, procès simulacres, jugements iniques…

Un film pour la postérité !

Le moyen métrage de Sara Nacer nous a livré une Algérie authentique et rebelle qui se soulève pour se libérer de ses fossoyeurs, du joug d’un régime autoritaire. Il a le mérite de nous éclairer sur la genèse d’une révolution inédite dans l’histoire, de faire sortir davantage le Hirak de son embargo médiatique et de l’immortaliser pour la postérité !

Sofiane Idir

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