« Pour ne pas être tenté d’espérer davantage, il fixa son regard sur les lèvres de la jeune fille et sur ses yeux pendant qu’elle parlait ; il s’aperçut combien il gagnait facilement sa confiance, et en ressentit ce mélange de plaisir et d’ennui qu’on éprouve devant un adversaire trop fragile, sans défense. »

L’écrivain et poète anglais Charles Langbridge Morgan est né en 1894 et décède en 1958. Sa prose riche et abondante chante l’amour transcendant le réel, la perception des choses au-delà des apparences, des êtres, des convenances et de tout ce qui remettait en cause la conception matérielle et plate de l’existence.

C’est en 1920, à l’ombre d’un château anglais et sous le soleil de Toscane, que ce chef-d’œuvre de Charles Morgan renouvelle le schéma de la tragédie classique. Il dissèque la passion et ses prémices, l’amour sombre et ses afflictions, les sentiments contradictoires et ses paradoxes entre un Anglais poète et écrivain, Piers Tenniel, et Mary, la jeune épouse de son meilleur ami, George.

Frustré des traditions, Piers Sparkenbroke vivait une enfance difficile. Sa mère s’étant enfuie avec un amant alors qu’il n’avait qu’à peine l’âge de raison. Très sensible et imaginatif, il devient écrivain. Le bruit de l’eau, la pluie, la neige, le vent, les arbres solitaires, la nature, l’évasion, la sensation sauvage évocatrice, les aléas de la vie… Tout cela nourrissait secrètement en lui des sentiments de douleur mélangés à du plaisir, celui de les traduire. Au moment de ses envolées lyriques, il ignorait les péchés, et sa plume dépassait les limites des convenances. C’est à partir de là que l’artiste se sentait innocent et expressif dans la purification de son être de toutes les obsessions qui le hantaient. Inventer, c’est recevoir l’absolution et le brillant effort de traduire sur papier ce que son imagination imposait. L’extase est une sorte de mort à la réalité, une transcendance qui délivre de la mort physique. L’homme dans son existence devient clairvoyant et peut s’exprimer dans l’amour, la contemplation et la mort.

L’amour et la mort sont liés dans un même transport spirituel au-delà de la chair. Mais sur certains passages lui traversant l’esprit, l’écriture se refuse à lui. C’est lorsqu’il rencontre Mary, une jeune ingénue, qu’il retrouve de l’inspiration et de l’exaltation. La fille donne et reçoit, plus que sa femme trop prosaïque et ordinaire dans sa manière d’être ; elle crée une tension, une attente indéfinissable dont le frémissement compte parmi les impulsions fondamentales de l’art. Il l’embrasse mais ne s’unit pas à elle, il se retient. Mary est sensible mais a des principes sains et solides. Quand la vie est si courte, pourquoi s’embarrasser de règles sociales qui nous empêchent d’être heureux ? Mais comment savourer son propre bonheur s’il fait souffrir les êtres qui nous sont chers ? Déchirée, Mary, à l’aube de sa vie de femme, doit faire ce choix douloureux entre un mari médecin et un amant poète.

Lorsque Sparkenbroke repart en Italie chercher la solitude nécessaire à l’écriture, Mary se marie tout naturellement avec George, ami d’enfance de Piers Sparkenbroke. Elle trouve chez ce médecin de campagne une sérénité et une bonté qui l’apaise et la rassure. Mais le destin s’en mêle, un voyage en Sicile fait échouer Mary à Lucques avec la sœur de George, Helen, malade d’une sclérose en plaques. Sparkenbroke les héberge jusqu’à la mort d’Helen et Mary retombe en amour pour lui. Mais elle se dérobe et rompt à nouveau, d’un commun accord avec Piers qui songe à retrouver sa femme. Là encore, le destin refuse. S’il est des êtres faits l’un pour l’autre, ils ne peuvent que s’attirer. Piers comprit que les créatures ne doivent pas être comparées entre elles en termes de beauté ou d’intelligence, qui sont les qualités du monde des apparences, mais en raison de leur perméabilité au flux créateur. Pénétrer ce qui est réel, en être visité, imprégné, lui parut résumer les deux impulsions complémentaires et dirigeantes de la vie, et il s’aperçut que l’existence sociale à laquelle il revenait délibérément, était la négation de ces élans.

Le divorce est consommé entre la vie sociale et l’artiste qui crée. Charles Morgan, le romantique, reste éternelle dans sa façon de se recomposer, et l’auteur a souvent des bonheurs d’écriture, des remarques qui sonnent justes à qui sait observer, lire entre les lignes et analyser. Et la faculté de communiquer ses sentiments sans étalage de mots est là. Encore ce processus de l’amour qui va bien au-delà du comportement sans mesure et d’une consistance pâteuse. Personne n’aime une femme uniquement à cause d’elle-même ou pour ce qu’elle est. On peut dans ce cas éprouver du désir ou de l’amitié, mais celui qui prétendrait aimer une femme pour cette raison ne serait pas un véritable amoureux et manquerait de compréhension. Il ne l’aimera que lorsqu’il aura déversé en elle un millier d’aspirations et de rêves qui ont leur origine en-dehors d’elle, et que tout son être à lui sera en quelque sorte recréé en elle.

Confessions et fièvres du cœur féminin. Rencontres éperdues sur fond de paysages anglais et de ciel toscan… Ici l’analyse abyssale des passions humaines se nourrit de superbes médiations sur la toute-puissance de l’imaginaire et la nature de l’art. Sparkenbroke s’inscrit ainsi dans la grande tradition romantique de ces livres fondateurs qui ne cessent de sonder les âmes pour traquer l’Absolu.

Quelles qu’aient été les erreurs de sa vie charnelle, l’artiste en Sparkenbroke aura gardé jusqu’au bout sa pureté. Dès son enfance, il éprouvait une soif d’accomplissement. Adulte, il ne cessait de souligner qu’il existe trois moyens d’accomplissement : l’Art, l’Amour, et la Mort.

Voici un bon et maître roman, un long et délicat poème en prose déployant une métaphysique subtile à propos de l’amour impossible entre un poète et une jeune femme relatant les rapports complexes et contradictoires qu’entretiennent entre eux l’art, la religion, l’amour et la sexualité.

Mohand Lyazid Chibout (Iris)

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