Intervention de M. Ali Benflis, Président de Talaie El Houriat, adressée à la communauté algérienne établie à l’étranger, à l’occasion du forum de la société civile algérienne réunie à Marseille sur le thème :

« Quel avenir pour l’Algérie ? » 

Mes très chers compatriotes,

Je vous adresse mes salutations fraternelles que j’accompagne de mes vœux les meilleurs de succès à votre rencontre. Je suis particulièrement gratifié de pouvoir partager avec vous quelques idées au sujet du thème de votre forum et je vous suis sincèrement reconnaissant de l’occasion que vous m’en offrez si généreusement. 

Je ne suis pas parmi vous de corps et je le regrette ; mais croyez le bien, je suis des vôtres de cœur et d’esprit et j’en suis honoré.

Vous vous rencontrez, aujourd’hui, pour poser et débattre d’une question centrale et déterminante entre toutes : « Quel avenir pour l’Algérie ? ».

Laissez-moi vous dire quel bon choix vous faites, quelle belle réponse vous apportez et quel cinglant démenti vous opposez à tous ceux qui se sont, récemment, arrogés illégitimement le droit de vous juger, de mesurer votre patriotisme à l’aune de l’exclusion qui leur est chère et de choisir pour vous le rang dégradant qui est selon eux le vôtre sur l’échelle de la citoyenneté qu’ils croient être les seuls à pouvoir établir.

Je l’ai déjà dit et le répète devant vous aujourd’hui, loin de tout opportunisme politique, loin du souci de vous complaire à moindre frais et loin de vouloir marquer des points politiques faciles contre qui que ce soit : le sort qui vous a été fait par la récente révision constitutionnelle est autant intolérable qu’inacceptable. Le traitement inqualifiable que vous a réservé cette révision constitutionnelle est plus qu’une erreur politique, c’est une grande injustice à votre égard ; plus qu’une erreur de jugement, c’est le révélateur du grand mépris dans lequel le régime politique qui sévit dans notre malheureux pays vous tient ; et plus qu’un dérapage incontrôlé, c’est une preuve supplémentaire de l’ostracisme dont ce régime politique frappe quiconque veut venir avec des idées nouvelles, apporter un nouveau souffle ou proposer une nouvelle démarche dans la reconstruction de notre pays.

Laissez-moi vous le dire avec toute la certitude qui est la vôtre et qui est aussi la mienne : l’Algérie à laquelle vous réfléchissez en ce moment, ne se reconstruira pas sans vous et encore moins contre vous.

Nos gouvernants actuels ont la mémoire courte ; ils ont une bien mauvaise connaissance de l’histoire moderne de notre pays ; et ils font une lecture bien sélective de la genèse du mouvement national. Ils feignent d’oublier que de là où vous êtes et auprès de vos pères et de vos grands-pères, le mouvement national a puisé une grande part de son substrat idéologique et de ses idées politiques fondatrices ; qu’il y a acquis de larges pans de sa base politique et sociale ;  et qu’il y a trouvé une grande partie des moyens de son triomphe ultime. Le sort de la libération nationale ne s’est pas joué exclusivement sur votre terre ancestrale ; il s’est joué aussi au sein de notre communauté établie à l’étranger qui en a été une partie prenante loyale, fidèle et au patriotisme sans tâche. Prenons donc garde à ne pas attenter à cet honneur qui est le sien et le nôtre et à ne pas effacer d’un trait de plume irréfléchi et inconsidéré- fut-il celui d’une révision constitutionnelle- la dette de la Nation envers une partie d’elle-même qui ne s’est jamais conçue en dehors d’elle, qui n’a agi que pour elle et qui ne pense son avenir qu’avec elle.

Nos gouvernants se sont fait une obsession du lieu de votre résidence. Ils l’ont consacré constitutionnellement en instrument d’exclusion, de discrimination et de stigmatisation. A chacun son niveau et à chacun son combat. Nos gouvernants parlent de résidence vous parlez de racines. Ils parlent de domicile et vous parlez de patrie. Et à un moment où la seule question pour eux est celle de savoir quel est leur avenir, vous leur répondez de la plus belle des manières en posant celle de savoir quel est l’avenir de l’Algérie. Car contrairement à eux c’est le seul avenir qui vous obsède, qui habite vos pensées et qui guide vos pas.

Quel est donc cet avenir dont nous rêvons pour notre pays ?

Pour nous cet avenir a un nom ; il a un contenu bien identifié ; et il a des objectifs précis. Il s’agit de la modernité politique, de la rénovation économique et de la réforme sociale. J’ai l’intime conviction que rien de fondamental ou de durable dans notre pays ne s’accomplira sans son entrée dans la modernité politique. L’archaïsme politique est dans la mentalité, dans la culture, dans la dynamique et dans les pratiques du système politique, qui condamne notre pays à la stagnation et à la régression. Cet archaïsme a déjà occasionné des torts difficilement réparables à notre État national, à notre Nation et à notre société : un État national fragilisé et affaibli ; une Nation peinant à assurer son harmonie et sa cohésion ; et une société atone, amorphe et dévitalisée.

La modernité politique, c’est mettre au cœur du nouveau système politique national la citoyenneté et le choix du peuple souverain aux lieux et place de l’homme providentiel et de l’homme fort dont le pays aurait prétendument besoin. La modernité politique ce sont des institutions qui représentent et servent nos concitoyennes et nos concitoyens comme il se doit et qui supplantent  toutes ces factions, tous ces clans et toutes ces coteries que le régime politique a érigé comme autant de remparts autour de lui pour sa seule pérennité et pour sa seule survie. La modernité politique, c’est l’État de droit, l’État vertueux, l’État juste, l’État impartial et l’État qui est le bien commun de toute la collectivité nationale. La modernité politique ce sont des droits et des libertés promus et protégés, une justice indépendante, des lois égales pour tous et des gouvernants qui sont responsables devant nos concitoyennes et nos concitoyens, qui sont soumis à leur contrôle et qui leur rendent les comptes qu’ils attendent. La modernité politique ce sont, enfin, d’authentiques médiations politiques, économiques et sociales qui se substitueront à la logique des réseaux, des clientèles et des groupes d’intérêt, d’influence ou de pression.

C’est par la modernité politique que seront rétablies l’autorité de l’État, la crédibilité des institutions et l’indispensable relation de confiance entre les gouvernants et les gouvernés.

L’avenir de l’Algérie se bâtira à partir de là et de nul autre endroit. Et c’est dans la modernité politique que la rénovation économique trouvera naturellement sa place.

Autoritarisme politique et prédation économique vont de pair. Ils sont des compagnons de route inséparables. Il serait illusoire de croire qu’ils puissent être séparés et qu’une autocratie finissante comme la nôtre puisse être l’auteure d’un miracle économique qu’elle n’a pu réaliser tout au long d’une décennie d’opulence financière sans précédent.

Seules des autorités légitimes, représentatives et crédibles pourront accomplir les réformes structurelles salvatrices dont le renouveau économique de notre pays dépend. Ces réformes structurelles exigeront de la volonté politique, du courage politique et des sacrifices qu’il serait vain de vouloir taire.

L’enjeu, ici, n’est pas un déficit budgétaire à maitriser ; une inflation à réduire de quelques points ; un taux d’intérêt à ajuster ; le prix d’un baril de pétrole à rehausser de quelques dollars ; ou d’impôts et taxes à alourdir pour améliorer les recettes publiques. L’échec économique national n’est aucunement susceptible d’une approche comptable. Son véritable traitement sera structurel ou ne sera pas.

De quoi s’agit-il, en l’espèce ?

Il s’agit de l’acte économique à dépolitiser c’est-à-dire le mettre à l’abri des influences et des instrumentalisations politiques clientélistes ; il s’agit du même acte économique à débureaucratiser c’est-à-dire prendre à bras le corps toutes ces lourdeurs administratives pénalisantes qui valent à notre pays un rang peu glorieux dans les classements mondiaux dédiés au climat des affaires. Il s’agit de désenclaver l’économie nationale par rapport à son environnement mondial dont elle est dépendante de presque tout pour la satisfaction de ses besoins mais dont elle ne tire presque rien en termes de savoir-faire, de technologie, de parts de marchés et d’investissement.

Il s’agit d’affranchir l’économie nationale de l’instabilité de son encadrement juridique qui a pris les proportions d’une arme de dissuasion massive contre les intervenants économiques nationaux et étrangers. Il s’agit de libérer notre système bancaire de l’obsolescence qui le mine de toute part et de bâtir un marché financier qui soit en mesure de constituer l’épine dorsale du renouveau économique de notre pays.

Il s’agit de stratégies à court, à moyen et à long terme à formuler pour notre industrie qui se meurt de mort lente, pour notre agriculture dont l’essor est toujours différé et pour l’industrie touristique dont l’inexistence fait de notre pays une singularité dans tout notre environnement méditerranéen.

La modernité politique n’est pas une fin en soi. La rénovation économique, non plus. Leur finalité est une société rassurée, épanouie et prospère. Depuis qu’il y a pris place, le régime politique en place a infligé à notre  société un véritable désarmement moral. L’on peut dire, sans craindre l’outrance, que la société vit sur un bord et l’État dont elle a été dépossédée vit sur un autre bord. Le sens du pacte social a été perdu ou alors il a été ramené à si peu de chose qu’il n’assure plus la nécessaire jonction entre l’État et la société. Cela se comprend et cela s’explique parfaitement. Les jeux des coteries et des factions, le régionalisme, le népotisme, le favoritisme, la dilapidation de l’argent public, la corruption et l’irruption irrefrénée de l’argent douteux dans tous les segments de la vie nationale ont ajouté leurs dégâts matériels à leurs ravages moraux autrement plus destructeurs. Au désarmement moral il n’y a d’opposable que le réarmement moral ; et ce réarmement moral de notre société, a un passage obligé : celui de la réhabilitation de la citoyenneté, des droits politiques, civiques, économiques et sociaux qui devront cesser d’être autant de vœux pieux, de la solidarité, de la justice sociale , de la tolérance, de l’ouverture sur le monde  et du coup d’arrêt à donner à la construction d’une société à deux vitesses par les faveurs et les privilégiés d’un côté et par la marginalisation et l’exclusion de l’autre.

Je tiens à vous redire, ce qu’il m’a été donné de dire à nos compatriotes réunis à Montréal, il y a de cela deux mois.

Vous êtes les yeux de l’Algérie sur le monde.  Vous êtes les éclaireurs de son entrée dans la modernité. Vous êtes les bâtisseurs des ponts qui aideront au désenclavement, politique, économique et social de notre pays. Vous êtes les facilitateurs de l’insertion de notre pays dans le monde et de sa sortie de l’autarcie dommageable qu’il s’inflige sans raison.

Voilà votre place dans l’avenir de la Nation qui n’entend pas et qui n’entendra jamais se passer de vous. Et c’est vos mains dans les nôtres que cet avenir se construira envers et contre tout.

Je vous remercie de votre attention tout comme je renouvelle mes souhaits les plus chers de plein succès à votre rencontre.

By admin

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