Un cow-boy dans le coton[1], est le titre du dernier Lucky Luke qui est signé par Achdé et Jul aux éditions Lucky Comics.

Le célèbre cowboy qui a été créé par Morris en 1946, n’a rien perdu de sa superbe, grâce au style graphique d’Achdé qui, on ne le dira pas assez, est le digne héritier du créateur de la bande dessinée puisqu’il est en charge de l’univers de Lucky Luke depuis près de vingt ans. Avec la complicité de Jul (Julien Berjeaut), à qui l’on doit Silex and the city et 50 nuances de Grecs, Achdé réussi encore une fois à prouver que l’œuvre est à la hauteur de défi, qui exige d’être fidèle à l’esprit de Morris tout en étant à l’écoute des fans.

En effet, dans cette nouvelle aventure de Lucky Luke, notre cowboy solitaire doit se rendre en Louisiane, car il vient d’hériter d’une plantation de coton que lui a légué une riche propriétaire terrienne. Lucky Luke n’a qu’une seule idée en tête : distribuer la terre entre les employés.

On reconnaît encore une fois l’altruisme de Lucky Luke que rien ne peut écarter du soleil couchant, lui qui chante tout le temps à chaque fin d’épisode en chevauchant Jolly Jumper : « I’m a poor lonesome cowboy, and long way from home » (je suis un cow-boy solitaire, et qui suit un long chemin, loin de la maison).

Lucky Luke qui représente toujours la figure du héros, fait donc une entrée remarquée dans l’univers ségrégationnistes des États du Sud, où il rencontre au passage Bass Reeves, un authentique marshal adjoint noir de l’ouest du Mississipi, qui a réellement existé et qui détient à son actif plus de 3000 arrestations et 14 exécutions en légitime défense. Si la figure de Bass Reeves a été intégrée dans cette aventure, c’est aussi pour casser le mythe du cow-boy blanc qui nourrit l’imaginaire populaire et que le western hollywoodien a encensé, car on ne le dira peut-être pas assez, la condition des cowboys était si difficile qu’elle attirait les défavorisés dont 25% étaient des noirs et des hispaniques. Dommage d’ailleurs que le cinéma hollywoodien ne donne pas plus d’écho à des films tels que Posse (La revanche de Jessie Lee), réalisé en 1993 par Mario Van Peebles et qui reste à mon avis un chef d’œuvre du genre.

Qu’à cela ne tienne, si le cinéma n’en fait pas assez, la bande dessinée y arrive à travers cette histoire de Lucky Luke, où Achdé et Jul puisent dans l’histoire pour livrer un récit qui plaira forcément aux petits et aux grands. Comme pour ne pas perdre le lien avec Morris, les auteurs soulignent le bref passage de Lucky Luke dans le sud en remontant les rives du Mississippi (planche 5)[2].

L’homme qui tire plus vite que son ombre, se rend ainsi en Louisiane, où il rencontre les employés de la plantation qui se méfient des intentions de Lucky Luke car il est blanc. Le thème d’un cow-boy dans le coton, illustre la condition des noirs dans cette Amérique, qui malgré l’abolition de l’esclavage après la guerre de Sécession, a continué à entretenir le ségrégationnisme et un racisme latent qui perdure encore aujourd’hui, comme on peut le voir à travers l’actualité récente avec le mouvement militant contre le racisme systémique envers les Noirs « Black Lives Matter », qui se traduit par la vie des Noirs compte.

Cet album de Lucky Luke fait donc écho à l’actualité en y ajoutant une pointe d’humour, pour ne pas perdre de vue que même si certains sujets sont délicats à aborder, l’approche humoristique est un formidable remède pour braver la bêtise des hommes. À ce jeu-là, les bédéistes réussissent leur pari en offrant aux fans une œuvre touchante et divertissante à la fois.

Comme toujours, Lucky Luke croise le chemin de personnes célèbres comme c’est le cas de Bass Reeves, Angela (Davis), Oprah (Winfrey) et Barack (Obama), ou des personnages issus de la culture populaire tels que Tom Sawyer et Huckleberry Finn, personnages des romans de Mark Twain, ou d’autres figures inspirées du film Autant en emporte le vent. Cette marque de fabrique qu’utilisait Morris dans ses albums, est bien orchestrée dans celui-ci puisque Jul et Achdé s’amusent en multipliant çà et là les citations et les clins d’œil, tout en respectant les codes de la BD. Ils font appel aux Dalton, éternels ennemis de Lucky Luke pour l’épauler face au Ku Klux Klan, avec comme toujours un final positif et inspirant.

Les deux complices qui ont déjà réalisé ensemble La Terre promise (2016) et Un cow-boy à Paris (2018), livrent encore une fois avec cet album de l’homme qui tire plus vite que son ombre, une œuvre qui n’aura pas de mal à vieillir…parole de fan !

Réda Benkoula

[1] Un cow-boy dans le coton. Tome 9 | Les Aventures de Lucky Luke d’après Morris | Scénario : Jul, Dessin : Achdé | Hors Collection Lucky | 2020 | 48 pages

[2] En remontant le Mississippi | Scénario : Goscinny, Dessin : Morris | 1959 | Dupuis | 46 pages

 

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