Dans sa demeure à Montréal, le 16 septembre dernier à 9h35 du matin, a sonné la dernière note de Vic Vogel, le dernier son d’une symphonie immortelle, un dernier battement de cœur en guise d’adieu à la scène musicale montréalaise.
L’univers du jazz pleure son étoile disparue, ce virtuose incontesté, une des plus grandes légendes canadiennes du jazz, rend l’âme à l’âge de 84 ans, suite à une longue maladie. L’homme aux deux mille pièces musicales et dix mille représentations à travers le monde, restera gravé à jamais dans l’histoire du patrimoine canadien et dans le cœur des montréalais, laissant derrière lui le parcours d’un véritable maître, une fierté pour le Québec et le Canada.
Vic aura côtoyé les grands noms de la musique, dont Oscar Peterson, Dizzy Gillespie, Maynard Ferguson, Mel Torme et Slide Hampton. Mais la liste est encore longue, lui qui a travaillé aux côtés de Paul Anka, Tony Bennett, Eartha Kitt, Andy Williams, Sammy Davis Jr, Jerry Lewis, Michel Legrand, Ann-Margaret, Shirley MacLaine et Tennessee Ernie Ford.

A l’occasion de ses 84 ans en août dernier, lors du quarantième Festival de jazz de Montréal, la médaille de l’Assemblée Nationale lui a été décernée, en récompense à son immense contribution au profit du patrimoine national. Bien avant, il reçut le prix Oscar-Peterson et le doctorat Honoris Causa de l’Université Concordia.

70 ans de carrière

Les mots ne suffisent guère à retracer le chemin d’un grand artiste de la scène musicale qu’aura été Vic Vogel, un parcours qui a impressionné plus d’un au Canada et à travers le monde. Il n’avait que 14 ans lorsqu’il fit ses premiers pas dans la musique, de bar en bar, d’un cabaret à l’autre, sous le signe de la passion et d’un rêve tracé dès l’enfance. En 1951, il accompagnera Oliver Jones au cabaret de Montmartre, avant de créer quelques années plus tard, en 1960, son premier groupe. Ses musiques ont illuminé divers évènement artistiques et sportifs, l’Exposition Universelle de 1967, les Jeux olympiques de Montréal de 1976, les Jeux du Canada de 1985, ainsi que les deux spectacles d’entracte de la Coupe Grey en 1981 et 1985.

A la fois pianiste, chef d’orchestre, compositeur, arrangeur et tromboniste, Vogel était aussi un passionné de la Pop et de la musique classique, un autodidacte inébranlable qui s’est construit en grandissant au rythme des festivals montréalais et des représentations de ses idols . Durant ses 70 années de carrière, le jazzman aux origines hongroise et autrichienne, faisait rayonner la scène musicale du grand Québec, à travers ses émissions télé et à la radio (Société Radio-Canada et réseau CTV), au théâtre (comédies musicales pour le Théâtre des Variétés), et sur scène. En plus de sa riche collaboration avec l’Office national du film du Canada, l’Orchestre symphonique de Montréal et l’Orchestre symphonique de Québec, Vogel est le seul artiste à avoir été toujours présent durant vingt années consécutives au Festival international de jazz de Montréal, aux côtés de Dizzy Gillespie, Maynard Ferguson, Jerry Mulligan, Slide Hampton, Cannonball Adderley, Chucho Valdès et Mel Torme.

C’est en 1968 qu’il commença sa véritable carrière, avec la naissance de son groupe musical, «Le Jazz Big Band », dont l’album «Vic Vogel and the Awesome Big Band», en fut une référence au palmarès du Billboard américain en 1987. En 1980 déjà, il jouait aux côtés du groupe rock Offenbach et reçoit un trophée Félix pour le disque rock de l’année. Durant les années qui suivront, cette légende du jazz enchaîne les représentations en France, au Québec et aux Festivals international de jazz d’Ottawa et de Montréal.

Coups dures et échecs avant la gloire

Qui aurait cru que Vic deviendrait un jour un pilier du jazz montréalais, alors que lorsqu’il était enfant, son propre père lui avait interdit de s’approcher du piano qu’il venait d’acheter, en 1939, étant destiné à l’origine à Frank, son frère cadet.

Inspiré des prestations d’Oscar Peterson dans les cabarets du centre-ville, Vogel s’est certes bien trempé dans le monde du spectacle, mais ne connaîtra jamais la reconnaissance et la récompense sans faire face à des situations parfois décourageantes. Parmi les meilleures anecdotes de sa biographie, celle ou un jour, alors qu’il n’avait que 15 ans, une femme médaillé accepta de le recevoir dans sa grande maison d’Outremont, une occasion inouï pour le jeune passionné, d’enfin apprendre chez un maître de musique. Mais en apprenant que les compositeurs préférés de Vogel étaient « Gershwin et Duke Ellington », cette femme s’empressa de congédier l’enfant innocent. Le jeune Vic aurait dû citer le nom de Mozart ou de Bach comme référence, cette enseignant aurait certainement accepté de le prendre sous son aile, talentueux qu’il était. Sa rencontre avec le groupe de rock Offenbach sera un des tournants de sa carrière, ou le jeune prodige a vite fait de charmer le guitariste John McGale et le chanteur du groupe, Gerry Boulet. Un mariage de rock et de jazz, dont l’album Offenbach en fusion fut vendu à plus de quatre-vingt mille exemplaires.

Le lion solitaire…

Il n’était pas du genre à se laisser corrompre par quelconque reconnaissance, son travail parlait pour lui, il animait toutes ses représentation dans une ambiance transcendante, lui qui était considéré comme l’étoile du Festival de Jazz de Montréal, l’un des plus grands arrangeurs, chef d’orchestre, musicien du Canada. Il ne lâchait rien, ne manquait jamais d’un second souffle pour accomplir son œuvre, sévère avec lui-même, et doué au piano, mais Vic ne cherchait pas derrière tout ça, aucun mérite ni récompense. C’était dans sa nature, et pourtant ! Jamais l’artiste accompli n’a été sollicité pour enseigner à l’Université ou au conservatoire, mais peu importe, les souvenirs enregistrés qu’il laissera derrière lui, témoigneront toujours de sa grandeur, des merveilleux morceaux qu’il a composé durant sa carrière remarquable.

Honneurs à l’artiste disparu

Une pluie d’hommages a inondé la scène artistique montréalaise après l’annonce sur le compte facebook de Vogel, de sa disparition à tout jamais. Ses amis, admirateurs et personnalités publiques n’ont pas manqué de lui rendre un dernier témoignage, en guise d’honneur et de considération à celui qui a marqué l’ère du jazz canadien des 70 dernières années. A l’instar de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui a communiqué sa tristesse après l’annonce du décès de l’inoubliable prodige. « Le nom de Vic Vogel est associé à l’image d’un musicien qui réussissait à chacune de ses apparitions à nous faire partager sa passion pour la musique, et en particulier pour le jazz ». Son fidèle ami, l’auteur-compositeur-interprète Martin Deschamps, avait confié au micro de RDI, que « Ce sont des souvenirs qui vont toujours rester dans mon cœur », avant d’ajouter qu’il était « un homme très original, marginal. C’était quelqu’un de sévère, d’une rigueur musicale incroyable…J’ai eu beaucoup de plaisir avec cet homme ». Eric Ayotte, un autre ami à lui, l’a comparé dans son hommage à « L’homme de cuivre ». Le président du conseil des arts de Montréal, Jan-Fryderyk Pleszczynski, a lui aussi rendu un dernier honneur au défunt : « Vic Vogel aura participé activement à la création d’un véritable mouvement qui a permis à Montréal de devenir le lieu emblématique du jazz qu’elle est aujourd’hui », a-t-il confié au lendemain de la malheureuse nouvelle. D’autres messages de soutiens de proches et grands noms de l musique et de la scène ont été adressé aux proches et tout l’entourage du grand Vic Vogel.

Pour ceux qui ne connaissent pas bien ce maître incontesté du jazz, une biographie intitulée « Vic Vogel : Une histoire de jazz »écrite par Maria Desjardins, est parue en octobre 2013, de quoi retracer le parcours de celui qui a marqué de son empreinte la vie des passionnés canadiens du jazz.

Une célébration en son honneur aura lieu prochainement.

Adieu l’artiste !

Hamid Si Ahmed

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