Parler de Kateb Yacine revient inéluctablement à mettre l’accent sur la poésie et tout ce qu’elle génère comme production tant littéraire que théâtrale. À la lumière de cette idée, il a dit en 1958 dans France-Observateur: « Je suis poète. Il s’agit d’une inclination irréductible et naturelle à la poésie, qui m’a possédé depuis que je suis très jeune. J’admets qu’il y ait des gens qui ne placent pas la poésie au centre de leurs préoccupations en matière littéraire mais, pour moi, la question ne se pose pas : tout a commencé par la poésie. La poésie est ce qu’au départ on appelle le «verbe», ce qui constitue la langue même de l’homme; le langage littéraire s’appuie indubitablement avant tout sur la poésie : le coran, la Bible, certaines pages de Marx, de Lénine, sont pour moi de la poésie. Elle est donc vraiment essentielle dans l’expression de l’homme. » Ces propos ont été prononcés deux ans après la parution de Nedjma, oeuvre devenue une référence dans la littérature algérienne. En 1988, il a répondu au journal Libération: « Aujourd’hui, un écrivain qui a la chance de recevoir une mensualité de son éditeur est tenu de produire un roman tous les ans ou tous les deux ans. Or pour écrire Nedjma, il m’a fallu sept ans. C’est que l’art, comme le bon vin, exige beaucoup de temps.» (1988, Réponses à libération). Si certains ont combattu le colon en utilisant leurs armes d’autres ont eu recours à leurs plumes. Ces dernières ont une importance considérable tant au niveau de l’éveil des consciences que de l’éducation. À ce titre, Zebeida Chergui déclare dans Boucherie de l’espérance: « Par-dessus un siècle et demi d’acculturation (démantèlement des centres de rayonnement culturels du pays, médersas, zaouias), de disparition des élites lettrés paysannes et citadines (ce que l’idéologie coloniale appelle le vide culturel de l’Algérie, et qui accable encore les consciences algériennes) Kateb Yacine instaure une culture là où on la croyait absente, transforme le dénuement en richesse littéraire et met à nu l’hétéronomie de ses contemporains. » L’écriture au service de plusieurs causes Ce qui a retenu notre attention lors de la lecture des entretiens rassemblés sous le titre Le poète comme un boxeur c’est essentiellement la force et l’amour qu’accordait Kateb Yacine à l’Algérie. C’est pour son pays que le combat a été mené sans relâche. Une sensibilité a été la source de toute son inspiration, à savoir la rencontre avec sa cousine Nedjma. Un amour qui s’est transformé en une pensée, une énergie en devenant la quintessence de toute son écriture. Mais écrire pour qui? Dès l’instant où le choix d’une langue se fait, il implique le type de lectorat que l’on cible. Dans ce sens Kateb Yacine considère que le français est la langue de la révolution et «Écrire en français, c’est presque, sur un plan beaucoup plus élevé, arracher le fusil des mains d’un parachutiste! Ça a la même valeur. » Et le rapport à la langue française a sa particularité comme il l’explique : « Pour un écrivain algérien, dépasser son complexe d’infériorité, dépasser le fait de vouloir imiter les classiques français, résoudre la contradiction nationaliste et écrire le français en tant qu’Algérien sans que cela pose aucun faux problème, au contraire!. » Lamia Bereksi Meddahi (L’initiative)

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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