La chute d’Albert Camus est une réflexion sur l’homme et de tout ce qui peut traverser son esprit tant avec ses semblables : « on joue à être immortel et, au bout de quelques semaines, on ne sait même plus si l’on pourra se traîner jusqu’au lendemain »1 qu’avec Dieu: « La seule utilité de Dieu serait de garantir l’innocence et je verrais plutôt la religion comme une grande entreprise de blanchissage, ce qu’elle a été d’ailleurs, mais brièvement, pendant trois ans tout juste, elle ne s’appelait pas religion. Depuis, le savon manque, nous avons le nez sale et nous nous mouchons mutuellement »2 . Cette réalité dans laquelle nous vivons mène à s’interroger sur le comportement modèle à adopter puisque nous sommes toujours sujets à un jugement tel que le précise Albert Camus : « Vous parliez du jugement dernier. Permettez-moi d’en rire respectueusement. Je l’attends de pied ferme : j’ai connu ce qu’il y a de pire, qui est le jugement des hommes. Pour eux pas de circonstances atténuantes, même la bonne intention est imputée à crime»3 et il ajoute : « Je vais vous dire un grand secret, mon cher. N’attendez pas le jugement dernier, il a lieu tous les jours »4.

ENTRE JUGEMENT ET LIBERTÉ Le fait même d’être surveillé, guetté réduit le champ de la liberté : « Après tout, il m’est arrivé de faire de la liberté un usage plus désintéressé et même, jugez de ma naïveté, de la défendre deux ou trois fois, sans aller sans doute jusqu’à mourir pour elle, mais en prenant quelques risques. Il faut me pardonner ces imprudences; je ne savais pas ce que je faisais. Je ne savais pas que la liberté n’est pas une récompense, ni une décoration qu’on fête dans le champagne. Ni d’ailleurs un cadeau, une boîte de chatteries propres à vous donner des plaisirs de babines. Oh! Non, c’est une corvée, au contraire, et une course de fond, bien solitaire, bien exténuante; Pas de champagne, point d’amis qui lèvent leur verre en vous regardant avec tendresse. Seule dans une salle morose, seul dans le box, devant les juges, et seul pour décider devant soi-même ou devant le jugement des autres. Au bout de toute liberté, il y a une sentence; voilà pourquoi la liberté est trop lourde à porter, surtout lorsqu’on souffre de fièvre, ou qu’on a de la peine, ou qu’on n’aime personne »5. La liberté n’est plus un but à atteindre mais un poids à supporter puisque engendrant un sentiment de solitude. Pour contrer ce sentiment Camus s’adresse au peuple: «J’invite le bon peuple à se soumettre et à briguer humblement les conforts de la servitude, quitte à la présenter comme la vraie liberté »6. Etre aux services d’autrui nourrit les relations humaines. Dans cet échange non seulement le jugement réduit son importance mais la liberté prend tout son sens.

Lamia Bereksi Meddahi (L’initiative)

1Albert Camus, La chute, Ed/Gallimard, 1956, p. 86.

2Id, p. 91.

3Id, p. 90.

4Id, p. 91.

5Id, p. 108.

6Id, p. 111.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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