Depuis sa genèse au moyen-âge, le capitalisme n’a pas cessé d’évoluer, en se mutant vers de nouvelles formes, sous la jonction de facteurs économique, social, politique, etc. Tout le monde connait ses trois grandes phases depuis sa genèse, commerciale, industrielle et financière. Mais depuis l’ère du numérique et la transformation digitale, un appendice s’est greffé à ce système qui se nomme capitalisme de surveillance. De quoi parle-t-on exactement ? À qui profite son pouvoir et sa rente juteuse ? Et quelles sont ses menaces sur les droits et la démocratie ?

La marchandisation, la logique capitaliste porte désormais sur la donnée personnelle

La révolution numérique a entrainé l’explosion extraordinaire des données, le monde en produit chaque jour environ 2,5 trillions, de nature hétéroclite et concernent toutes les activités déployées sur les multiples objets connectés et géolocalisés (messages, commentaires, recherches, transactions d’achats, géolocalisations, signaux GPS…). Ces données de masse sont devenues des matières premières qui, traitées et analysées, deviennent des produits à grande valeur ajoutée, qui président les échanges. Ce sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) qui étaient les premiers à exploiter ces données avec leur dispositif de captation, de stockage, d’analyse et de valorisation. Le marché mondial de la donnée personnelle est juteux, en 2017, il représentait déjà 188 milliards de dollars, et selon les prévisions du Forum économique mondial, ce marché atteindrait plus de 500 milliards de dollars d’ici 2024.

En effet, le capitalisme de surveillance repose sur cette capacité de valoriser des données de masse (big data), rendue possible grâce au développement inouï des intelligences artificielles et des techniques d’analyse sémantique permettant de construire du sens. Il s’agit de transformer des traces de l’expérience humaine en ligne comme matière première gratuite en données prédictives, qui anticipent le comportement des consommateurs afin de leur destiner une publicité ciblée. Ces données personnelles permettent aux entreprises de cibler d’une manière précise leur clientèle grâce aux informations précises qu’elles apportent. Cependant, ce mécanisme qui parait, a priori, simple, ne s’arrête pas à la prévision de ce comportement, mais il vise aussi à le contrôler et à le modifier.

Le capitalisme de surveillance : quelles menaces pour les droits et la démocratie ?

En effet, la logique du système capitaliste est reconduite en ce qui concerne le capitalisme de surveillance, à savoir transformer l’expérience humaine en marchandise sous forme de prédictions qui s’échangent sur le marché. Mais une telle logique concerne désormais des données personnelles et sensibles, qui peuvent révéler autant de choses sur une personne lambda (âge, sexe, ethnie, opinion politique, conviction religieuse, orientation sexuel, état de santé, trait physique…) à son insu. L’appropriation et l’usage de ces données menacent-elles les droits et la démocratie?

La Ligue des droits et libertés canadiennes (LDL, section Québec), dans un dossier traitant les zones d’ombre et les menaces du capitalisme de surveillance pour la démocratie et les droits humains, attire l’attention sur le fait que les enjeux du capitalisme de surveillance dépassent largement la seule question de la protection de la vie privée puisque d’autres droits humains sont aussi menacés. La surveillance extrême des individus, tant par l’État que par les entreprises privées via l’intelligence artificielle, est susceptible d’affecter la liberté d’expression, la liberté d’association et la démocratie. Le contrôle de la circulation de l’information sur les réseaux sociaux peut influencer les opinions et les comportements des personnes pour asseoir un certain contrôle social. Pour appréhender tous ces enjeux et saisir les profondes transformations sociales et politiques qui s’opèrent à l’ère du capitalisme de surveillance, la LDL préconise l’approche de l’interdépendance des droits (la réalisation d’un droit est intimement liée à celle des autres droits).

Sofiane Idir

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