Le roman de Najib Redouane Le legs du père[1]est une réflexion profonde sur le lien qu’entretient la fille avec son père. Lors d’un voyage, le personnage principal se livre à des confidences pour faire éclater tout ce qu’elle avait tu pendant des années. A ce titre, elle dit : « J’attendais beaucoup de ce voyage. Mais jamais je n’aurais pensé qu’il aurait tant d’effets. Je partais à la découverte d’un pays, pas de moi-même. Ma présence ici, probablement, visait à mettre fin à la lutte qui me rongeait intérieurement. Un nouveau départ dans un nouveau pays, mais en réalité, ce n’était qu’un maillon de la chaîne de mon destin. Et voilà que les souvenirs se précipitent et les idées se bousculent. Je dois trouver les mots justes pour t’écrire une bonne fois pour toutes. Dire mon mal et atténuer cette page bouillonnant en moi »[2]. La douleur ne réside pas juste au niveau de la fille mais aussi de la mère : « Condamnée à te suivre, elle vivait dans un pays qui lui était totalement étranger, effacée, recluse, dans l’ombre de ton ombre. Elle devait s’occuper de toi. Et rien que de toi. Coupée du monde extérieur, ses jours passaient dans l’attente de ton retour. Et plus tard, de ses filles. Tu ne l’autorisais à fréquenter que l’épouse de ton cousin, une femme du bled, qui pouvait la comprendre et lui tenir compagnie sans risque de la corrompre. Tu avais peur qu’elle prenne conscience du vide de son existence. Tu la maintenais enfermée dans le silence et dans l’ignorance »[3].

Le legs qui n’est que haine :

Quand le père transmet le sentiment de peur et de méfiance, les enfants s’animent d’un grand besoin de revanche. Dans cette optique, le personnage principal qui n’est point nommé écrit : « L’odeur de mon nouvel amant continue à m’habiter. Je décide de la garder avec moi et en moi pour plusieurs jours. Je veux arriver chez moi remplie de sa présence. Je demeure toujours fascinée par la manière dont j’ai franchi tous les interdits avec lui. Je ne ressens ni honte ni gêne d’avoir brisé tous les tabous en devenant une femelle affamée. Il m’a comblé d’un immense bonheur parce qu’il appartient à la race de mon pays. Ma rencontre avec lui, aussi courte soit-elle, m’a réveillée brutalement et m’a poussée à prendre conscience de mes dérives humaines, relationnelles, sentimentales et même sexuelles »[4].

En interrogeant l’auteur sur son choix du sujet, il a dit : « J’ai eu l’occasion d’entendre la conférence d’une jeune écrivaine, fille d’immigrés, qui reniait totalement son identité en insultant ses parents et en regrettant de porter le nom de son père. J’ai été très perturbé par la force de ce rejet et surtout par son désir d’être considérée comme fille de la République. Je me suis posé la question sur l’ampleur de cette colère qu’elle porte en elle, contre elle et aussi envers tous les gens qui ressemblent à son père »[5].

En lisant le roman Le legs du père nous nous retrouvons face à des situations qu’un nombre considérable de filles vivent mais qui n’osent pas toujours dévoiler.

[1] Ed/L’Harmattan, 2016.

[2] Id, p. 11.

[3] Ibid, p. 25.

[4] Ibid, p. 227.

[5] Entretien réalisé le 17 juillet 2016.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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