Mardi dernier, un tribunal ontarien a accordé un sursis aux grands cigarettiers canadiens en prolongeant encore une fois l’ordonnance qui suspend l’ensemble des poursuites judiciaires canadiennes contre elles. Toute cette saga découle du fait que les cigarettiers se sont placés à l’abri de leurs créanciers à la suite du jugement de la Cour d’appel du Québec qui les contraints à payer 13 milliards $ aux victimes québécoises ayant eu gain de cause après des procédures ayant duré plus de 22 ans.

Hélas, ce sursis autorise l’industrie à poursuivre ses activités « business as usual » jusqu’en mars 2021 et appelle ses créanciers à poursuivre des pourparlers secrets avec l’industrie en vue d’obtenir une entente mettant fin à l’ensemble des litiges contre elle.
Outre les victimes des recours-collectifs, les autres créanciers incluent les dix provinces canadiennes qui poursuivent l’industrie pour le recouvrement des coûts de soins de santé attribués au tabac. La Québec réclame 60 milliards $ pendant que le total des montants réclamés à plus 500 milliards $. Or, dans le cadre des audiences de mardi, les cigarettiers ont révélé qu’ils ne détiennent qu’un centième de ce montant (5,2 milliards $)

Étant donné que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) cherche à maintenir les entreprises en activité, il est raisonnable de prédire que toute négociation visant une issue strictement monétaire entrainerait des paiements représentant une minuscule fraction des sommes dues aux victimes et des montants réclamés par les provinces.

L’Ontario et le Québec sont les seules provinces n’étant pas représentées par des firmes d’avocats extérieures qui opèrent en fonction d’honoraires conditionnelles à un règlement monétaire. Et puisque ces dernières réclament les sommes les plus élevées, elles détiendraient un genre de véto sur toute entente proposée si elles décidaient de collaborer. Elles pourraient même mettre fin au processus et forcer l’industrie à affronter chaque créancier individuellement.

C’est pourquoi le Québec devrait d’abord exiger l’exécution immédiate des arrêts Blais-Létourneau, non seulement pour rendre justice aux victimes québécoises, mais aussi pour assurer le respect de la magistrature québécoise qui a encadré, entendu et tranché dans un procès de vingt ans et qui se voit à présent invalidée par un jugement s’appuyant sur une disposition fédérale et les décisions d’un tribunal administratif d’une autre province.

Ensuite, l’Ontario et le Québec doivent assumer un rôle de leadership et chercher à maximiser les bénéfices pour toutes les provinces de manière à promouvoir l’intérêt publique à court comme à long terme, en misant sur les épargnes associées à une réduction accélérée du tabagisme. En effet, les provinces pourraient exiger un règlement qui verrait le tribunal superviser une stratégie obligeant les géants du tabac à progressivement réduire l’offre et la demande de leurs produits (incluant dans une deuxième phase leurs produits de vapotage nicotiniques non homologués), de façon à atteindre la cible de moins de 5% de prévalence de tabagisme d’ici 2035, l’objectif officielle de la stratégie fédérale antitabac.

Cette démarche pourrait comprendre des jalons annuels, assortis de sanctions lourdes et dissuasives, dans le cas où les compagnies n’atteindraient pas leurs cibles intermédiaires en termes de nombre de consommateurs. Pour le Québec, un de ces jalons devrait être d’atteindre un taux de 10% d’ici 2025, soit la cible de la Stratégie pour Québec sans tabac 2020-2025 déposée en mai dernier (le taux actuel est de 17%).

Et si jamais le Québec et l’Ontario n’étaient pas encore convaincus du bienfondé de cette recommandation, une nouvelle étude économique préparée par H. Krueger and Associated Inc* confirme l’importance des coûts qui pourraient être évités : 22,2 milliards $ pour le Québec et 26,1 milliards $ pour l’Ontario. Ces épargnes seraient par ailleurs accompagnées de 641 000 fumeurs en moins au Québec et 990 000 fumeurs en moins en Ontario.

Pourquoi les citoyens devraient-ils se contenter d’un règlement uniquement pécunier permettant aux cigarettiers de recruter des nouvelles générations de fumeurs et de vapoteurs, ce qui finira par entrainer d’autres coûts de soins de santé, bien au-delà de 2035?

Le Québec et l’Ontario pourraient décider maintenant de profiter de cette occasion historique pour transformer la nature et les pratiques prédatrices des cigarettiers tout en maximisant la compensation pour les victimes du tabac de même que les épargnes en soins de santé pour l’État.

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