Au Québec, surtout dans la région du Bas-Saint-Laurent et sporadiquement ailleurs aussi, on peut observer la présence d’un ornement bien particulier. Il pousse le plus souvent dans les angles, entre les poteaux et les frises qui parcourent le bas des toitures. Cet ornement introduit dans les ouvrages la légèreté nécessaire pour casser la rigidité de ces encoignures, qui autrement seraient lourdes pour le regard. En donnant un aspect agréable aux bâtisses, il rehausse ainsi la beauté des devantures des maisons, vérandas, magasins, jardins d’hiver, etc.

Cet ornement est composé d’une tige très courbée portant un certain nombre de feuilles stylisées. On peut donc parler d’une petite arabesque florale. Généralement en matière d’ornement, chaque motif porte dans ses moindres détails les marques du territoire, de la société ou de la civilisation qui l’a produit. Depuis que l’humanité a atteint l’âge d’exprimer sa conscience, tous les peuples ont produit des ornements. Ainsi, l’ornement est un langage qui traduit le caractère culturel intrinsèque de l’espèce humaine.

Dans le cas du spécimen qui nous intéresse ici, bien que les artisans, les guides et les inventaires en patrimoine bâti le nomment «Décor Renaissance», si on remonte à ses origines, cet ornement est bien marocain, andalou, arabe. D’ailleurs, au temps de la Renaissance, suite aux échanges commerciaux avec les arabes, les habitants de Venise vont inventer le mot «arabesque» pour nommer les motifs et ornements d’origine arabe. Avant d’expliquer le long chemin et les péripéties de sa migration vers le Québec, attardons-nous un peu sur ses significations et symboliques. Qu’est ce qu’un ornement ou une arabesque florale?

Dans le décor tawriq, la forme qu’il est convenu d’appeler «feuille» a toujours participé à l’élégance du décor. Elle reflète, à travers les siècles, le caractère des dynasties successives au Maroc.
1. La feuille almoravide (1055-1147) a gardé la simplicité des oasis du sud, tout en empruntant à l’Andalousie son charme et sa grâce.
2. La feuille almohade (1147-1269), symbole de retour à l’austérité des moines guerriers, stylisée et pointue pour refléter la fierté à l’image de l’acanthe.
3. La feuille mérinide (1269-1465) est l’image de la douceur de vivre et de l’harmonie. Elle évoque les plus grands bâtisseurs du Maroc.
4. La feuille nasride (1237-1492), conçue en Andalousie, témoigne de la folie exubérante de l’art grenadin.

Dans une arabesque florale, la ligne courbée ou la tige est habillée de feuilles, bourgeons, pétales, etc. Cette action de styliser selon la sensibilité et le talent de l’artiste puis d’installer ces éléments inspirés de la nature s’appelle tawriq, qui signifie couvrir de feuillage.
Ces feuilles ne sont pas une représentation fidèle de la réalité, mais une vision symbolique de celle-ci. À titre d’exemple, le pétale porte le nom de nouara, un mot dérivé du mot nour qui signifie lumière. Pour les ornemanistes du Maroc et du monde arabe, entre l’œil et la fleur, il y a un chemin de lumière qui est celui de la connaissance.

«Tous ces décors de tôle et de bois sur ma maison victorienne, ça tient avec un brin de rien.» Cette citation d’un anonyme montréalais exprime très bien l’influence qu’a exercée la mode architecturale victorienne (anglaise) sur la façon de construire au Québec entre 1850 et 1900, époque de laquelle résulte l’architecture vernaculaire québécoise.
Ce courant dans les arts et l’architecture était marqué par une volonté de retour vers le passé, vers le moyen-âge. De nombreux réformateurs européens, à l’image des anglais Owen Jones ou William Morris, considéraient l’époque médiévale comme l’âge d’or des arts décoratifs.

Par ailleurs, ces deux figures très influentes de l’époque victorienne étaient aussi passionnées par les arts arabes et islamiques. Owen Jones avait minutieusement étudié les détails de l’Alhambra et Morris, un socialiste utopiste, militait pour faire reconnaître les arts décoratifs à travers son mouvement Arts & Crafts et considérait les ornements arabes comme l’emblème de l’épanouissement de l’artisan dans son travail.

Au début de la période victorienne, l’architecture au Québec cherchait à emprunter des motifs appartenant à différents répertoires. Au même moment, la mode victorienne cherchait à injecter de nouveaux ensembles décoratifs appartenant à différents styles pour animer les façades, atteignant même une certaine exubérance. C’est ainsi que cette arabesque florale a voyagée jusqu’aux façades des maisons québécoises.

Certains éléments de l’époque victorienne ont complétement disparu aujourd’hui. Des nouveaux modèles de construction, caractérisés par une volonté de simplicité, vont connaître le jour, surtout à partir de la seconde moitié du 19e siècle. D’autres, par contre, subsistent plus ou moins au temps, au climat, aux tendances et à la mode. L’ornement marocain dont il est question ne survit pas seulement aux aléas de la vie et du temps, il est modernisé et maintenant découpé au laser et représente fièrement une marque du Québec profond.
Lors de votre prochain voyage le long du fleuve Saint-Laurent, ouvrez les yeux et cherchez cette petite touche marocaine qui orne les belles maisons colorées.

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