Ibn Battûta (1304-1377), ce grand voyageur Marocain natif de Tanger, a réussi à parcourir au cours de sa vie un peu plus de 120 000 km, l’équivalent de quatre fois le tour de la planète. Quoique moins connu en Occident, il dépasse de loin le célèbre Ferdinand Magellan (1480-1521), avec deux siècles d’avance. « J’étais seul, sans compagnon avec qui je pusse vivre familièrement, sans caravane dont je pusse faire partie; mais j’étais poussé par un esprit ferme dans ses résolutions, et le désir de visiter ces illustres sanctuaires». Ibn Battûta, 1355

À l’âge de 21 ans, il se joint à une caravane en direction de la Mecque, quittant pour la première fois sa ville natale. Sa passion pour l’érudition théologique et le droit musulman le pousse à faire escale en Égypte, ce qui lui permet de visiter méticuleusement le delta et les villes de la vallée du Nil. Tout au long de ce premier périple qui l’emmène jusqu’en Syrie, il développe un regard pointu. Il étudie les comportements des gens, leurs mœurs et coutumes, ainsi que les espaces urbains, les édifices et les constructions.

Notre aventurier voyageait rarement seul. Il avait pour habitude d’attraper des caravanes de pèlerinage, commerciales ou diplomatiques, pour s’y introduire et voyager protégé. Après son séjour à la Mecque, il enchaîne aussitôt avec l’Irak et l’Iran, le Yémen, l’Afrique orientale, le Golf persique, la Mongolie, Constantinople, l’Afghanistan et l’Inde. Dans toutes ces étapes sa célébrité d’érudit le devance. Partout, il est accueilli avec chaleur et considération, logé, nourri et couvert de présents. Même s’il avait pour coutume de passer rarement plus d’une semaine par escale, en Inde, il s’installe à New Delhi et accepte de prendre en charge deux portefeuilles, celui d’adoul (notaire) et de cadi (juge de paix) pendant une période de neuf ans.

Dans ses notes, il s’attarde une première fois sur la ville tunisienne de Sfax, là où il découvre les femmes, multipliant les aventures, mais toujours selon les règles « de la religion », selon ses dires! Ensuite, à la Mecque, il est ébloui par la beauté des femmes mecquoises et dans son style désinvolte il écrit : « leur beauté est sublime et leur parfum envoutant vous emplit les narines quand elles font le tawaf (le tour de la Kaaba). »

Son récit est riche d’enseignements à plusieurs niveaux. Pourtant, on peut facilement déceler que notre prince, garçon de son temps et fin esthète, menait une exploration proclamée, celle de grand voyageur et une autre plutôt secrète, celle de ses conquêtes amoureuses, butinant de prairies en plaines et de vallées en contrées, attiré par le parfum de la beauté féminine.

Lorsqu’il est l’hôte d’Ozbeg Khan, descendant de Gengis Khan et sultan de l’Empire turco-Mongol, il décrit dans les moindres détails ses extravagances et caprices sexuels, son harem, ses femmes préférées, etc. Au nord de l’Inde, il encense la bonne compagnie de ses concubines, leur talent en matière de plaisirs. Au Sud, il décrit la beauté des femmes avec des détails bien osés, celui de leur savoir-faire en matière de positions amoureuses. Aux Maldives, ce sont les mœurs particulières de ces îles paradisiaques où il séjourne un peu plus d’un an qu’il décrit, surtout les aliments aphrodisiaques, comme certains fruits et poissons.

L’entrée à Pékin
Pour ce qui regarde la peinture, aucune nation, soit chrétienne où autre, ne peut rivaliser avec les Chinois; ils ont pour cet art un talent extraordinaire. Parmi les choses étonnantes que j’ai vues chez eux à ce sujet, je dirai que toutes les fois que je suis entré dans une de leurs villes, et que depuis il m’est arrivé d’y retourner, j’y ai toujours trouvé mon portrait et ceux de mes compagnons peints sur les murs et sur des papiers placés dans les marchés. Une fois je fis mon entrée dans la ville du sultan de Pékin, je traversai le marché des peintres, et arrivai au palais du souverain avec mes compagnons; nous étions tous habillés suivant la mode de l’Irak. Au soir, quand je quittai le château, je passai par le même marché; or je vis mon portrait et les portraits de mes compagnons peints sur des papiers qui étaient attachés aux murs. Chacun de nous se mit à examiner la figure de son camarade, et nous trouvâmes que la ressemblance était parfaite.

L’Orient le fascine, son intérêt est aiguisé. Des steppes russes jusqu’en Inde, il est envoûté par les splendeurs et l’opulence de la vie des sultans. Sa description, d’un style clair, limpide et facile à lire, fait de son récit une référence solide pour tous les chercheurs du Moyen-Orient jusqu’à son extrême.
Son voyage merveilleux entre le Maroc et la Chine dure trente ans, jusqu’au jour où il se trouve à bord d’un bateau sur l’Océan indien qui se fait attaquer par des pirates. Il se fait piller et perd tous ses carnets de notes. Il rentre ensuite chez lui, «le meilleur de tous les pays», en 1349, pour repartir aussitôt visiter le royaume de Grenade, puis l’Afrique nigérienne. Il range enfin ses valises et s’installe définitivement à Fès en 1342.

Le sultan mérinide Abou Inan Fâris (1329-1358), qui appréciait beaucoup les récits de ses découvertes, ordonne de mettre par écrit ses mémoires. En 1356, le poète andalou Ibnou Jazy Al Kalby, va transcrire sous la dictée d’Ibn Battûta, les chroniques de son voyage. Dans un style fluide, épuré mais truffé de poèmes, d’anecdotes, de faits intrigants, Ibnou Jazy et Ibn Battûta publient le célèbre livre intitulé Rihla ou Voyage. Par la suite, Ibn Battûta mène une vie de solitaire, sans femme ni enfants et sombre dans l’oubli jusqu’à sa mort en 1377. Son livre, un chef d’œuvre de la littérature classique arabe, traduit aussitôt dans une quinzaine de langues, est un livre majeur au Moyen-Âge. A-t-il ouvert la voie aux explorations et aux tours du monde qui ont suivi ?

Deux siècles plus tard, en 1519, le portugais Fernand de Magellan (1480-1521) fait son premier tour du monde. En 1577, c’est au tour du corsaire britannique Francis Drake de faire son exploration du monde. Deux siècles plus tard encore, le français Louis-Antoine de Bougainville réalise aussi son tour du monde. Au 19e siècle, partir d’un point et faire le tour du monde à pied, à vélo, à moto ou en avion pour revenir au même point est considéré comme un exploit. Puis, durant le 20e siècle, seule une classe de la société aisée peut s’offrir des virées autour du globe… Aujourd’hui, alors que les voyages en dehors de l’atmosphère deviennent de plus en plus accessibles, des menaces, comme les virus, annoncent une réalité avec laquelle les humains doivent dorénavant cohabiter et qui rendent les voyages, même dans des villes rapprochées, de moins en moins probables…

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