« Il y a des tensions fortes en France autour de l’identité, comment on est défini par les autres, parfois seulement par rapport à notre origine ethnique ou notre religion ».

Lorsque même un succès est sujet à discorde il revient à s’interroger sur la place qu’occupe le qu’en dira-t-on ? La réalisatrice et scénariste Baya Kasmi a mis en exergue les retombées d’une réussite littéraire dans le film Youssef Salem a du succès où elle retrace la vie d’un écrivain, représenté par Ramzy Bedia.

Tout bascule quand il obtient le prix Goncourt. Cette consécration tant convoitée par beaucoup d’auteurs fait vaciller sa famille et toutes les convictions sont remises en question. C’est autour de ce film riche en pensées poétiques, humours, joie de vivre, musiques entrainantes, qu’elle traite avec brio le poids des tabous souvent tus tant au niveau de la famille que dans la société. À la lumière de ces idées, elle explique l’état d’esprit de son film.

L’initiative : Le film Youssef Salem a du succès est un hymne au sens de l’honneur. Le prix Goncourt est convoité par beaucoup d’écrivains pourtant Youssef Salem a paniqué quand il l’a eu. Partagé entre le succès et la protection de sa famille, il se retrouve dans un dilemme. Comment est venue cette idée originale du scénario ?

Baya Kasmi : C’était vraiment une envie de parler de l’intérieur de la famille, de l’écriture, de ce que c’est de tenter d’écrire, on part de ce qui nous touche, de ce qu’on connait, on a envie de dire ce que les autres taisent, on mélange ça à de l’invention de la fiction et après il faut assumer. La vérité d’un auteur n’est pas celle de ses proches. Dans le film le roman révèle les secrets d’une famille, il change les équilibres. Et puis il y avait l’envie de donner un beau rôle à Ramzy à qui j’ai pensé tout au long de l’écriture avec Michel Leclerc. 

Dans ce film beaucoup de sujets sont traités tels que : les clichés, l’homosexualité, le racisme. Pourquoi traiter tous ces thèmes dans un seul film ?

Parce que si les familles ont des tabous, la société en a aussi et tout se mélange dans la vie des gens. Il y a des tensions fortes en France autour de l’identité, comment on est défini par les autres, parfois seulement par rapport à notre origine ethnique ou notre religion. C’est aussi particulièrement difficile de prendre la parole quand on fait partie d’une minorité comme on dit maintenant, parce que tout ce qu’on dit peut être retenu contre nous. On n’a pas droit à la parole individuelle, on se retrouve obligé de représenter les autres et Youssef ne veut pas de cette responsabilité, il ne parle qu’en son nom. 

La fin de l’intrigue n’est nullement attendue par le téléspectateur. Est-ce un choix que d’avoir mis l’accent sur le déchirement entre la famille et le succès ?

J’aime créer la surprise dans un film. Quand les récits sont programmatiques, on s’ennuie. Ce qui compte pour moi, c’est creuser les personnages, donner à réfléchir, poser des questions qui renvoie le spectateur à sa propre histoire familiale. On part tout d’un socle, une culture. On n’a pas envie de décevoir notre famille, mais le désir de liberté est présent chez tout le monde. Parfois, aller vers ses propres désirs, tenter d’être libre, peut nous donner l’impression de trahir ceux qui ont tout fait pour nous, nos parents. Comment exister sans trahir, je trouve que c’est un beau sujet. 

Le film est parsemé de musique, d’humour, de phrases poétiques. Il convoque le ressenti profond d’une personne qui pense à se lancer dans l’écriture. Pourquoi pensez-vous que le lecteur/téléspectateur veut souvent savoir en premier lieu si l’histoire est fictive ou réelle ?

Parce que c’est une curiosité naturelle et exacerbée par le monde actuel, où tout le monde se raconte, où on peut voir la vie des autres sur insta ou Facebook. C’est naturel de s’identifier à la vie des autres et de vouloir connaître le vrai, mais les livres et les films ne tirent pas forcément leur qualité de la vérité ou de la réalité. La fonction d’une œuvre artistique est de créer un monde réflectif, qui apporte aussi de la poésie et au final on se fout de savoir ce qui est vrai, ce qui compte c’est ce qui est juste je crois.

Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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