L’auteur et le texte

Mbarek Housni est un homme cultivé, autrement dit, selon l’expression d’antan, un honnête homme. Il est aussi poète, critique de cinéma, essayiste puisqu’il écrit sur tout ce qui l’intéresse dans le domaine du culturel. En plus, il est un parfait bilingue, ce qui aide beaucoup quand on écrit. C’est quelqu’un qui a persévéré et qui s’est mis à l’ouvrage pour s’imposer comme l’une des plumes qui comptent. En lisant son recueil de nouvelles, « L’étrange ne tue pas », il me revient un vers de Boileau où celui-ci parle du fait de se remettre je ne sais combien de fois sur le métier. Le résultat est qu’on sent un réel plaisir à le lire.

D’abord par la qualité de la langue et de l’écriture. Une langue poétique, chatoyante, fluide, musicale, accessible, à la fois simple et riche. Il utilise parfois des mots assez recherchés mais avec pertinence et sans aucun snobisme ou fatuité. Cela vient de sa culture, et là c’est un parti-pris, car nous lisons un auteur parce qu’il nous apporte quelque chose, et notre ami est dans ce cas-là. Il est très imprégné par ses lectures, d’une grande imprégnation littéraire et philosophique, d’où l’intérêt de ses écrits. On y décèle les références d’abord à des écrivains et des philosophes tels Socrate, Nietzsche, Ionesco, Beckett, Céline, Kafka, puis au cinéma et à la politique, et enfin à la mythologie grec.

D’ailleurs, l’auteur consacre quelques-uns parmi ses plus beaux textes à la thématique de l’écriture et de la lecture, je prends comme exemple « L’oubli par la lecture » où il parle d’un livre : « c’est un livre… ». Un autre texte, « Les vers du dimanche » : « Le poète est sorti …. » Il y a plusieurs passages de ce genre à propos de la création. Le plus bouleversant clin d’œil à l’écriture à mon avis se trouve dans la nouvelle « Noir et blanc » dans laquelle l’auteur évoque les affres de la création ou la souffrance devant la page blanche que connaissent beaucoup d’écrivains et poètes : « La blancheur du papier devant moi ….. ». Cela dénote un grand amour pour l’écriture et la culture.

La nouvelle comme choix

D’emblée on constate que M’barek HOUSNI est un nouvelliste-né, et il réussit fort bien dans ce type d’expression littéraire. J’ai déjà évoqué la pertinence de ses choix linguistiques. Il est en de même à propos du choix du genre. On sait que la nouvelle est un récit court où on doit aller à l’essentiel, ne pas faire un résumé, un P.V ou bien un rapport succinct. Car l’écriture de la nouvelle est un art puisqu’elle est un genre intrinsèque, indépendant des autres formes de récit, notamment le roman. Il y faut un équilibre des composantes de l’ensemble, et une économie générale difficile du fait que la marge est étroite, on ne dispose que de quelques pages. Il faut gérer les moyens, gérer le contenu. La nouvelle a horreur des digressions gratuites.  La digression est une grande tentation littéraire. Il faut savoir quand il faut être bref et quand et comment fournir les éléments donnant du sens, de la signification, et générant l’émotion, quand et comment susciter l’attente, les interrogations et le suspens, les entretenir et jouer sur la gradation de leur intensité. Il faut une maitrise parfaite aussi d’un élément essentiel de ce type de narration et qui est la chute, la fin. Ici le texte doit nous surprendre, nous émouvoir, et nous donner à réfléchir. Cette chute doit requiert un don exceptionnel de l’imagination, mais surtout un don littéraire consommé pour la préparer tout au long du texte, créer l’atmosphère propice qui subjugue le lecteur et le fait adhérer à l’univers crée par l’auteur et lui faire accepter ses propositions aussi extraordinaires soient-elles. Notre auteur excelle dans cet exercice ou ces exercices. Il possède le bon vieil art de raconter et maitriser les techniques narratives qui font les bons nouvellistes.

Les caractéristiques thématiques

M’barek Housni est un auteur humaniste, sensible et attentif au monde dans lequel il vit. Ses nouvelles sont ancrées dans les lieux qui les ont vues naitre, l’écriture s’en nourrit. Elle est imprégnée sensuellement de leur présence et de leurs particularités géographiques, culturelles, et de leur atmosphère. Il y a toujours un lieu et un rapport entre ce lieu et ce qui est écrit entre les lignes. « L’attende de Godot » à Agadir, « Le mur de nulle part » à Tamanar, « Le mascaron rieur de la rue d’Alésia » à Paris, « Le dernier jour de Hamadi Bouzekri » à Azilal, « L’homme et son manteau » à Béni-Mellal, « Prémonition » à Casablanca, etc..

L’humanité, à travers l’écriture de M. Housni s’exprime par le choix porté presque exclusivement vers l’introspection, la vie intérieure de l’individu, sa fragilité, son malaise et son angoisse existentielle propre à tout être habité par les grandes questions de la vie et de la mort, du temps immobile ou qui passe, du destin et du hasard, je veux dire par là qu’il n’y a pas dans ses nouvelles un foisonnement d’événements, de faits ou de personnages. Il y a un éclairage, une focalisation sur une personne et c’est tout l’humain qui s’exprime dans cette personne. Pour cela, je dirais que notre auteur est à classer parmi les auteurs intimistes. Ici la focalisation externe est la plus présente. On dit de la focalisation zéro que c’est le Bon Dieu qui décrit puisqu’Il entre dans le cerveau des personnages. Mais je pense qu’après une lecture de proximité des textes, les « il » sont en fait un « je », et il qu’y a de l’autobiographique dans ses nouvelles. Et même quand le narrateur s’adresse au lecteur par un « vous » dans certains textes, il le prend à témoin ou il l’implique.

Dans tous les cas, dans les deux tiers du corpus il est question du leitmotiv de la personne et surtout de sa condition humaine, de sa solitude, voire de son isolement, subi ou voulu. J’avais relevé plusieurs phrases où il y a cet atmosphère d’isolation et l’auteur parle de l’aura de l’isolation qu’il a lui-même fabriquée autour de lui et dont il est jaloux, et parfois il la subit parce qu’elle lui est imposée, parce que c’est une contrainte mais cela revient au même. Je disais humaniste et je disais personnage intérieur et je me rappelle un vers de Victor Hugo qui parlait au lecteur en lui disant : « Ô fou toi qui croit que je ne suis pas toi». Car quand on parle d’un individu, on parle de l’homme en général, et c’est ce que je voulais dire lorsque j’employais le mot d’humaniste.

Car notre auteur décrit admirablement son personnage, avec les mots qu’il faut, sans fioritures, mais sans hâte : vêtements, habitations, tics, comportements, et qui sont des objets signifiants, donnés de telle manière que le personnage acquiert une identité. Il y a toujours le souci d’une très grande économie de moyens, le souci de « contextualiser », de cadrer celui qui est décrit ou qui parle, nous savons si c’est un haut fonctionnaire ou un petit hère ou un vagabond ou quelqu’un qui a des problèmes de tel type ou tel type, de toute manière on arrive à identifier de personnage avec très peu d’éléments. Le portrait donc ici bien croqué comme disent les critiques que nous comprenons bien ce personnage et le narrateur et nous compatissons à son sort avec empathie.

L’étrange comme choix

Mais il ne s’agit pas seulement de littérature intimiste, car l’auteur a plusieurs cordes à son arc comme on dit. Dans ce recueil, il y a une variation de contenues, de thèmes, et surtout celui de l’étrange ou du fantastique. L’auteur excelle dans la création de cette atmosphère. On sent bien qu’il a beaucoup lu Maupassant, Poe, et d’autres, bien sûr. Sous le titre du recueil, je me plais à lire/voir que « l’étrange est parmi nous ». Cet étrange se construit par la création d’une sorte de no man’s land onirique, où il y a une fusion entre la réalité et le rêve, entre le réel et l’irréel, où il y a l’annulation des frontières qui séparent ces deux mondes, et ça se voit clairement dans les nouvelles qui ont les chutes les plus surprenantes. On y trouve une alchimie absolument magnifique, une cohérence, si je puis dire, entre ce réel et cet irréel. Il faut du talent pour nous convaincre de la vraisemblance artistique. Mais on voit bien, à lire certaines phrases, que c’est un choix, que l’imagination pour notre auteur est beaucoup plus riche que la réalité. C’est pour ça que je dis que l’étrange est parmi nous.

L’univers est foncièrement onirique, comme dans « Prémonition », « Le mur de nulle part ». Un onirisme qui va parfois jusqu’à la folie. Il y a des personnages qui frôlent la folie comme dans « Le désir et l’écho » et « Visions flottantes ». Choix littéraire, penchants ou les deux à la fois. Pour s’en assurer on peut lire « Le chapeau de Kafka ».

Lors de ma lecture, j’ai été interpellé par d’autres aspects des textes, notamment par les descriptions très minutieuses des objets et des corps, manière qui m’a rappelé le recueil poétique de Francis Ponge, « Le parti-pris des choses ». On le voit dans la description de ce vieux Hammadi Bouzekri, de ces mains, de son visage, de tout son être qui est vraiment bouleversante.

Il y aussi ce rapport entre la littérature et le cinéma. Cet art du visuel sur lequel il a beaucoup écrit, a influencé la manière d’écrire de M. Housni, mais avec ce paradoxe : il ne s’est pas laissé entrainer par son influence, et il n’a pas du tout oublié ce qui est spirituel, psychologique, dans l’écriture. L’importance de l’écriture par rapport au cinéma, c’est justement de faire ressortir avec des mots que chacun va imaginer ou que chacun va traduire, la réalité en image. Son écriture moderne rappelle celle de Dos Passos dans « Manhattan transfer », ou Najib Mahfouz qui voulait faire du moderne en s’appuyant sur le visuel. Et je le félicite pour avoir réussi ce pari, préserver la prééminence de la littérature, malgré son amour pour le cinéma.

Ahmed Fertat

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