Le roman Le pays des autres[1] de Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt en 2016, revisite les événements de la deuxième guerre mondiale à travers deux personnages Amine et Mathilde.

Une alsacienne et un combattant marocain dans l’armée française. Après la libération le couple s’installe à Meknès. La nouvelle vie à laquelle est confrontée Mathilde, celle d’être isolée à la ferme avec ses deux enfants, lui procure des sentiments ambigus.

  • L’étranger chez les autochtones :

Les différences prennent tout leur sens quand l’âge avance. En effet Mathilde constate les hostilités, les injustices et les maltraitances réservées aux femmes. Elle-même n’échappe pas à cette réalité. Elle qui n’est pas habituée à courber l’échine devant les hommes se retrouve dans un environnement où tout est collectif. La cohabitation avec les autochtones est de plus en plus difficile. Considérée comme l’étrangère, ses faits et gestes sont épiés et scrutés à longueur de journée. Elle étouffe mais essaye de s’occuper pour apporter le meilleur d’elle-même comme le jour où elle a été voir le docteur Palosi non parce qu’elle avait un problème de santé mais pour solliciter son aide auprès des patientes qui souffraient, Rabia qui avait des plaques sur le ventre et qui vomissait, le fils de Jmia, dix- huit-mois ne pouvait pas se mettre debout. Elle apporte ce qu’elle peut pour que son statut de femme ne soit pas minimisé. Son arrivée au Maroc a bouleversé toutes ses habitudes. Mais en écrivant à sa sœur elle préférait enjoliver le tableau : « Elle prétendait que sa vie ressemblait aux romans de Karen Blixen, d’Alexandra David-Néel, de Pearl Buck ». Dans son attitude, elle montre la transformation subie. Celle de soigner l’image au triment de ce qu’elle ressent.

Ce roman invite à la réflexion sur la cohabitation avec celui qui est considéré comme l’étranger. Le lieu de vie influe-t-il sur la manière d’appréhender les choses ? L’adaptation passe-t-elle forcément par la mise en veilleuse de ses propres principes ?

En prenant les deux personnages Amine et Mathilde, Leïla Slimani décrit avec un style directe des scènes de violence qui heurtent la sensibilité du lecteur. D’une séquence à l’autre, un mélange de sentiments paradoxaux naissent. Il est difficile de cerner le sens de l’amour dans cet environnement. Si le pays des autres appartient aux autres c’est qu’il garde en lui des traditions qui réfutent plutôt qu’invitent. Dans ce sens Mathilde se bat pour se faire entendre, comprendre. Puisqu’Amine retrouve son milieu, il n’éprouve aucun besoin pour modifier ses habitudes. Malgré les difficultés, un citrange est planté pour signer la possible entente.

Le pays des autres est un roman qui incite à s’interroger sur la vraie notion de l’étranger.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Le pays des autres, Leïla Slimani, Ed/Gallimard, 2020. 368 pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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